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et les villes, que de cas distincts dans l’envergure et les domaines d’activité, que ce soit avec le textile, la librairie[22] ou d’autres produits. En effet, il suffit de citer l’exemple des grands magasins, voire des magasins à succursales multiples, tels que les organisent les «Américains» partis, durant un siècle,[23] investir les nouveaux marchés en Amérique latine. Mais là encore, coexistent au sein d’une même Maison de commerce la structure de grands magasins et des formes d’un colportage classique, nécessaire pour investir de nouveaux territoires dans ces pays encore peu équipés, à la fin des années 1880.[24] De même, les acteurs dirigeant ces maisons de commerce associent des formes juridiques qui évoluent avec la législation (sociétés en commandite, S. A. R. L., voire sociétés anonymes avec capitaux d’origine familière) et des pratiques de banques et d’organisation familiales tout à fait traditionnelles, couramment employées dans le Queyras par les associations familiales organisant les migrations. Il est cependant clair qu’à la fin du siècle, à ce niveau, les associations à caractère familial, voire même clanique, changent de nature, et parfois de partenaires, pour s’adapter structurellement.

La diversité se repère aussi dans le choix des spécialités ou plutôt dans les produits vendus. C’est aussi dans ce domaine que l’on peut le mieux mesurer leur aptitude à s’adopter aux circonstances et leur sens des opportunités. Bien entendu, on valorise avant tout la production locale, depuis la vente du lait ou du beurre[25] jusqu’aux produits laitiers manufacturés. En effet, dès la fin du 18e siècle, et bien avant les fruitières, ont été fondées des sociétés regroupant des fabricants de fromage. Le curé Albert[26] évoque d’ailleurs avec une certaine admiration celle d’Aiguilles, car elle lui semble exprimer le dynamisme de ses habitants. C’est aussi le commerce lié à l’élevage, déjà évoqué et qui, très durablement, sous-tend les échanges, dans un rayon d’action souvent réduit. Un domaine fait exception, celui du commerce des mulets dont certaines familles se font la spécialité. Commerce souvent lucratif que ce négoce de jeunes mulets que l’on va chercher dans le Poitou[27] et que l’on revend dans la région après une courte période d’élevage ou même après quelques saisons de dur labeur. Certaines familles expliquent ainsi leurs ressources et parfois le début de la bonne santé économique de leur maison. «Si l’on remonte aux origines connues de la famille, on sait que la maison a été construite en 1714 par deux frères, Étienne et Pierre, qui avaient réalisé un certain pécule dans leur commerce de mulets en Espagne puis ensuite dans le Languedoc.»[28] Ce que la mémoire a retenu

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GRANET-ABISSET: COMMERCE ET INSTRUCTION