Moyen Âge, sont appelés capitalistes, ont aussi toujours préféré employer les montagnards qui, le manteau plié sur l’épaule, le bâton à la main et la biasse au côté, descendaient jusqu’au début de ce siècle à Arles, le dimanche des Rameaux, pour trouver un emploi de berger ou de baile. L’art avec lequel ils savent manœuvrer des milliers de bêtes à la fois, donner le biais (l’orientation), commander leurs chiens, assumer leurs responsabilités et restituer à l’automne des troupeaux indemnes de brebis prêtes à agneler, bref, leur réputation était à la hauteur du précieux capital (cheptel) qui leur était confié. Bien que l’élevage ovin soit loin de tenir de nos jours la place qu’il avait alors dans l’économie, et que le très haut degré d’élaboration du savoir-faire des baïles soit ignoré de la plupart de nos contemporains, l’art de mener les troupeaux transhumants, transmis par le geste, l’exemple et l’expérience, reste aujourd’hui intact.
La figure du baile, du maître-berger, mérite d’ailleurs d’être soulignée, tant elle rappelle celle du magister pastorum, qui dans les monastères alpins du 13e siècle restaurent une transhumance d’abord hivernale. Ainsi, longtemps les historiens des Alpes ont pensé que la transhumance n’avait pas existé avant cette époque.[10] Or, la découverte récente,[11] dans la plaine de Crau, de grandes bergeries datant du 1er siècle avant notre ère, au 5e siècle après, toutes semblables, longues de 45 à 50 m, construite en tapie (un pisé local à base de petits galets et de terre), couvertes de roseau, évasées au sud, terminées au nord-ouest, contre le mistral, par une abside triangulaire et ouvertes à l’ouest par une porte de triage, remet en cause leurs connaissances. Près de 150 de ces bergeries ont été recensées à ce jour et même si la moitié d’entre elles étaient occupées, cela représenterait 100.000 ovins au moins dont on ne peut croire qu’ils aient pu survivre sur place en été. Il faudra donc en convenir, la transhumance est bel et bien pratiquée depuis la Basse-Provence, dès le début de notre ère comme en l’Italie du centre et du nord et, probablement, dans la plus grande partie de l’Empire romain. Ainsi pourrons-nous identifier cette pratique pastorale comme un dispositif de l’économie romaine permettant de pallier au manque d’herbe en été et de transformer l’antagonisme culture-élevage en complémentarité. Probablement est-elle aussi déjà la clé d’une économie où le commerce et la trans-formation de la laine tiennent une place majeure. De là à penser que nos baïles soient aussi les successeurs des magister pastorum qu’employaient les colons romains de la Gaule du sud-est, et qu’un seul et même savoir-faire se soit perpétué sans rupture, des villas romaines aux mas en passant par les