dans le monde des entrepreneurs du travail villageois. Il minimise le rôle de la terre dans les sociétés de montagne - ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que la terre n’y joue aucun rôle.
6) L’accent, toujours mis sur les solidarités entre migrants - accent qui plonge ses racines à la fois dans l’économie morale construite à partir des travaux de Chayanov et dans la vision romantique de la paysannerie reprise par les libéraux - devient problématique. Une fois encore, l’exemple des réseaux colporteurs et des migrations de métier permet de montrer, au contraire, que les liens qui unissent les migrants entre eux ne sont pas automatiquement des liens positifs (accueil, soutien, entraide) ou neutres (un chemin, une filière vers la ville) mais qu’ils peuvent être négatifs, être des liens de dépendance qui peuvent aller jusqu’à empêcher le migrant d’utiliser pour son bénéfice propre l’espace dans lequel il se trouve. Si, vu de la ville, tous ces Savoyards, Haut-Dauphinois et autres montagnards quittent des pays pauvres, incapables de les nourrir, le sentiment et la liberté d’action du migrant, enserré dans des réseaux de crédit et de dépendance, obligé de travailler pour les riches habitants de son village sont tout autres; tout comme est différente la liberté des élites qui construisent leur fortune sur le travail de ces hommes, tout comme est autre encore celle de ceux qui n’ont plus ni terres ni travail à offrir à ces mêmes élites. Inclure dans les recherches ces liens sociaux extra-familiaux et les espaces géographiques dans lesquels les migrants se meuvent transforme alors le statut de la mobilité dans les sociétés: elle devient, au même titre que la sédentarité, un élément intrinsèque de leur fonctionnement et non pas seulement un signe de déstabilisation même si, à l’égal de toute autre composante des sociétés, la mobilité est porteuse d’évolutions douces autant que de révolutions ou de déstructurations.
Pour conclure, j’aimerais suggérer que la norme sédentaire, qui est au fondement des modèles migratoires traditionnels, est un topos qui s’est formé dès le début des temps modernes dans des luttes de pouvoirs et de représentations complexes entre migrants et sédentaires. En comprendre la formation apprendrait aussi beaucoup aux historiens sur les tensions nées du mouvement des hommes.