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La situation migratoire des Alpes intérieures suisses (cantons actuels du Valais dans la haute vallée du Rhône, du Tessin aux sources de plusieurs affluents du Pô et des Grisons dans la haute vallée du Rhin) est très contrastée. Les Tessinois et les Grisons quittent leurs vallées depuis le Moyen Âge pour pratiquer divers métiers dans toute l’Europe.[18] Mais cette émigration peut se compléter par une immigration: des Tessinois embauchent des gens venus des villages voisins pour cultiver leurs terres pendant leur absence. Le Tessin et les hautes vallées italiennes forment ainsi un vaste marché de travail intégrant les échanges transversaux, de la montagne à la montagne, à des circuits migratoires allant des montagnes vers les plaines et les villes.[19] Quant aux Valaisans, qui vivent dans un milieu géographique tout à fait comparable aux Tessinois et aux Grisons, ils sont beaucoup moins nombreux à quitter leurs terres, où ils accueillent par ailleurs de nombreux étrangers. Au 18e siècle, des dizaines de personnes venues du Saint-Empire, d’Italie, de Savoie, de France et de Suisse s’installent provisoirement ou durablement dans la petite ville de Sion.[20] L’immigration se poursuit au 19e siècle dans diverses bourgades de la vallée du Rhône, mais reste faible en altitude.[21] En 1811, quelque 600 migrants temporaires (vignerons, laboureurs ou maçons) entrent chaque année au Valais; un millier d’ouvriers supplémentaires viennent réparer la route et l’hospice du Simplón à chaque campagne militaire. Les émigrants sont beaucoup moins nombreux: un peu plus de 400 personnes, dont 350 occupées «au travail des bois et à l’agriculture» dans les départements voisins et 60 pâtres se rendant en Italie.[22] Ce solde positif ne s’observe pas seulement vers 1800: «en Valais, la régulation migratoire n’a jamais eu une ampleur similaire à celle des autres régions alpestres, tout au moins jusque dans la seconde moitié du 19e siècle».[23]

Dans les années 1740, de nombreux villages du Haut Jura franc-comtois,[24] dans la judicature de Saint-Claude, sont désertés chaque automne par leurs habitants de sexe masculin qui descendent en plaine pour y peigner le chanvre. «La moitié ou les deux tiers d’entre eux partent de certaines communautés, la totalité dans d’autres où il ne reste pas un homme à la maison. Ce sont habituellement celles où n’est pratiqué aucun travail artisanal l’hiver.»[25] Une quarantaine d’années plus tard, les gens de Saint-Claude font du colportage: vers 1780, près de 200 d’entre eux vendent des marchandises dites de luxe dans le Pays de Vaud.[26] Les peigneurs de chanvre des années 1740 sont-ils déjà des colporteurs ou le sont-ils devenus, dans le cadre d’une

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3