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et en même temps d’en maintenir le contrôle. Les formes concrètes dépendent largement du contexte et de l’importance stratégique et autre. On peut citer pour exemple deux situations presque opposées. Le contrôle d’un espace frontalier assez périphérique et pauvre en ressources naturelles et des routes de transport peut procurer une ressource de substitution à des groupes de familles. C’est le cas par exemple des lignages à la périphérie de l’État génois qui contrôlent au 17e siècle les échanges avec Milan et la plaine du Pò; c’est un pouvoir qui tient pendant longtemps tête à la puissance publique génoise.[35] En revanche, les grands passages des Alpes font intervenir des acteurs privés qui ne sont souvent pas présents à la frontière même - ce qui demande un autre changement d’échelle dans l’observation de l’historien. En témoignent les formes différentes de l’organisation du transport à travers le Saint-Gotthard, contrôlé en grande partie par des rouleurs (condottieri) - en fait des marchands italiens ou flamands - qui s’en assurent le monopole auprès des puissances publiques,[36] au détriment des voituriers et muletiers (Säumer) locaux.[37] Dans ce contexte interviennent des rivalités et des intérêts politiques et commerciaux qui sont largement extérieurs à l’espace frontalier proprement dit. Si l’intervention de l’État demeure un point de repère central, il n’exerce le contrôle qu’à travers des négociations, pour utiliser un terme à la mode, avec des groupes locaux ou lointains.

L’ambiguïté de l’exploitation d’une position frontalière comme ressource devient évident dans les formes de lutte économique violente, de la Raubökonomie,[38] ainsi que la transgression organisée des interdits: le vol et le chantage, la course et la piraterie, la contrebande et la contrefaçon. Ces activités «illégales» présupposent l’existence d’une interdiction qui vient d’ailleurs, d’une puissance publique. La frontière devient la ressource même à exploiter. Classées facilement parmi les ruses de la frontière, ces pratiques font en même temps partie de l’arsenal étatique de la (petite) guerre et de la guerre commerciale.[39] Ce sont des armes puissantes d’un État pour nuire à la position de rivaux, miner un monopole et, inversement, pour offrir par exemple aux marchands sous son pavillon une «rente de protection» par rapport aux autres, victimes de la violence hors la loi ou de la contrebande.[40] L’idée de Ratzel que le surinvestissement étatique dans les zones frontalières crée, par la politique de franchises envers une population frontalière, une culture spécifique de la frontière, trouve ici sa part de vérité. Mais il faut la dépouiller de son côté romantisant: ces outlaws sont souvent en compli-

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KAISER: PENSER LA FRONTIÉRE