Littéraire, dédié à L’errance, précisément. On y trouve plusieurs propositions ou citations qui sont révélatrices d’une approche littéraire ou philosophique qui ignore les témoignages de la tradition orale, autrement dit une approche qui par méthode ne confronte pas ses hypothèses aux données empiriques des œuvres de l’histoire de l’humanité.[12] Ainsi dans ce numéro, il est avancé d’une part ceci: «l’idée d’<errance> est en réalité résolument moderne, car le problème du lieu n’a pu se poser réellement qu’avec la naissance et la reconnaissance de la notion de Sujet».[13] Par ailleurs, il est fait référence à cette citation de Heidegger: «L’homme est fondamentalement dans l’errance; il n’y tombe pas par accident.»[14] Dans cette dernière proposition, si l’homme est errance (comme l’homme peut être sexe, économie, être dialogique, ou affublé d’une quelconque autre essence totalitaire), on ne voit pas l’intérêt de démontrer l’existence de ce qui lui serait donné. En contrepoint, on ne pourrait suivre qu’un avatar moderne de l’errance, défini sur mesure, soit en partant d’un a priori énoncé comme suit: «le problème principal de l’errance n’est rien d’autre que celui du lieu acceptable»; et ceci alors-même qu’on vient de déclarer que «l’errance, terme à la fois explicite et vague, est d’ordinaire associé au mouvement, et singulièrement à la marche, à l’idée d’égarement, à la perte de soi-même»;[15] ce tour de passe-passe étant au bout du compte uniquement destiné à singulariser une errance maintenant voulue sans Sujet - mais toujours sans «lieu acceptable» -, de la «modernité qui est la nôtre».
La seconde voie que nous n’emprunterons pas directement - même si nous l’aimons beaucoup par ailleurs -, c’est celle de l’histoire orale. Elle a été illustrée en l’occurrence par les enquêtes de De Angelis sur les nouveaux pauvres et l’immigration dans les villes.[16] Elle sera intégrée implicitement ici, seulement dans la mesure où il arrive qu’elle donne aussi accès au même type de récits dont nous traitons ci-dessous, étant bien entendu que ces récits ne sont pas l’objet exclusif des discours recueillis par l’historien de l’oralité. Ainsi nous évoquerons brièvement, au final, le contraste entre les stéréotypes sur le migrant, fréquents dans ces enquêtes, et l’errance de nos récits-types.
Le but de cette contribution est de donner pour la première fois l’ensemble des cinq récits parents disponibles,[17] qui parlent en fait de l’errance par eux-mêmes, et plus précisément encore de l’être errant retardé et/ou égaré - une fois simplement égaré. Tous ont été recueillis relativement près les uns des autres, dans les Hautes-Alpes, par Charles Joisten dans les années 1950-1960.[18] Nous allons indiquer, à l’aide de quatre autres récits, les liens qu’ils tissent