tessinois, au village il est facile de percevoir «la triste figure que doivent endurer ceux qui reviennent à la maison sans rien».[19] Pour ces migrants là, le retour devient ou constitue la conséquence d’un parcours inachevé, d’un revers économique et loin d’attester d’une réussite plus ou moins éclatante, il renvoie à la désillusion voire à la défaite. Maintes fois promis à leurs familles, les retours sont ainsi retardés, la plupart du temps à cause de l’impossibilité de respecter les engagements.
Or, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale surtout, la décision du retour va le plus souvent de pair avec la réussite. Il en va ainsi pour Davide Rosazza, un émigrant de Montesinaro dans la Valle Cervo (Alpes piémontaises) parti pour les États-Unis et qui, après avoir atteint une réussite économique enviable, vend ses propriétés américaines et rentre dans sa vallée piémontaise.[20] De même Jacques Flandin, un émigrant queyrassin, rentre en 1910 à Abriès, fortune faite lors de son séjour en Argentine. Revenu dans son village natal, il se fait construire une villa et s’y installe en rentier.[21] Pour tous ces migrants, le séjour en Amérique latine a toujours été pensé comme temporaire. C’est le retour qui est la norme, un retour au village d’origine soit pour un séjour uniquement estival, dans une maison à l’image de la réussite que l’on veut montrer, soit définitivement. Le non retour tient à l’impossibilité matérielle de le faire (manque d’argent, échec relatif, voire décès) ou, dans un nombre de cas moins fréquents (surtout pour les premières générations), mariage avec une «américaine» et installation dans le pays. En d’autres termes, et c’est le sens de la contribution de P. Audenino, les migrants alpins privilégient le retour au village. Ni le succès économique ni la réussite sociale ne semblent contrevenir à cet impératif qui est également un choix affectif.[22]
Il y a plus. Pour les migrants étudiés par P. Audenino comme pour l’ensemble des migrants, revenir au village, surtout lorsque l’on est nanti d’économies substantielles, donne l’occasion de s’affirmer matériellement et symboliquement et de s’affranchir en partie des contraintes de la communauté. C’est d’abord la possibilité de régler ses dettes, de racheter des terres gagées ou une part dans la succession familiale. C’est encore le moyen de s’émanciper des normes sociales et des hiérarchies villageoises.[23] C’est notamment le cas de ces nombreuses femmes du Trentin qui, après un séjour au Tyrol ou au Vorarlberg, assument un rôle important dans la création de l’industrie touristique locale. En effet, après cette expérience migratoire les femmes qui retournent chez elles sont des femmes différentes, à la fois dans leurs comportements concrets et leur définition sociale. Elles peuvent alors envisager pour elles-mêmes de nouveaux