s’est développée une forme particulière de contrebande, le faux-saunage, encouragé par les fragmentations de l’espace fiscal au sein même du Royaume ou sur ses frontières.[2]
Loin des actions spectaculaires et des figures héroïques à la Mandrin, les
procédures du Tribunal des gabelles de Briançon permettent de saisir, à une
échelle suffisamment restreinte qui est celle des vallées du Haut-Dauphiné,
les acteurs et les ressorts de ces circulations illicites. L’objectif n’est pas ici
de chercher à quantifier un phénomène qui cherche, par définition, à échapper
à l’archive, mais, en le replaçant dans un environnement économique, social
et politique global, d’entrer d’une manière originale dans le fonctionnement
des économies montagnardes et d’éclairer un aspect des ressources mises en
œuvre par les habitants des hautes vallées pour faire face à l’incertitude qui
est leur lot quotidien.
Le régime de la gabelle en Haut-Dauphiné:
zones privilégiées et surveillance des frontières
Province réputée étrangère, le Dauphiné fait partie des pays de petite gabelle.
Il est doté, pour l’administration des traites et gabelles, de deux directions,
Grenoble et Valence; de la direction de Grenoble dépendent deux contrôles
généraux, celui de Grésivaudan et celui des Montagnes, dont il sera question
ici. Ce dernier compte quatre greniers à sel - Briançon, Villevieille, Embrun
et Gap - qui sont, contrairement aux autres greniers du Dauphiné approvisionnés en sel de Berre, «fournis de sel d’Hyeres par les entreposts de Marseille
a dos de mulets».[3]
L’appartenance de la province aux pays de petite gabelle se traduit par l’obligation faite à tous les habitants de venir prendre dans les greniers «tout le Sel qu’il leur conviendra pour leur provision, salaison de Chairs & Poisson, usage & nécessité de leur famille», avec défense «d’user d’aucun autre Sel» à peine de 100 livres d’amende.[4] La province jouit cependant d’un privilège particulier, qui veut que le sel, aussitôt sorti des greniers du Roi, devienne «libre et commerçable». Il est permis à quiconque de le revendre «de la manière qu’il luy plaist», la seule condition étant de se munir d’un «billet de gabellement» destiné à prouver que le sel a été levé directement d’un grenier du Roi.[5] Les archives révèlent effectivement l’existence de «regratiers», à
Briançon ou Montdauphin par exemple:[6] Joseph Daurelle, «marchand quin-