obligés des fraudeurs - cols, combes ou défilés - restent la manière de procéder la plus fréquente, en particulier à la veille ou au lendemain de foires, quand s’intensifient les circulations d’une vallée à l’autre.[22] Ces embuscades, qui s’effectuent souvent de nuit, sont longues, sans être toujours fructueuses, et très pénibles en hiver ou par mauvais temps: les témoignages ne manquent pas sur «la rigueur du froit», la neige, ou encore «la pluye et les broulliards» obli¬ geant les employés des fermes à «disbusquer».[23] En cas de prise, la procédure suivie est toujours la même. La marchandise est aussitôt saisie, de même que les éventuelles montures, et les fraudeurs faits prisonniers. Le tout est emmené à Briançon: le sel, préalablement cacheté (après prélèvement d’un échantillon lui aussi cacheté), est déposé au grenier à sel où il est pesé; les fraudeurs sont écroués dans les prisons de la ville; les animaux ayant éventuellement servi au transport du sel sont assez rapidement vendus aux enchères. Le procès a lieu dans les jours qui suivent l’arrestation: les affaires les mieux conservées - en particulier lorsque nous sont parvenus interrogatoire(s) et sentence - nous éclairent sur les protagonistes et les logiques de la fraude.
Acteurs et pratiques du faux-saunage
La contrebande peut prendre les formes les plus diverses: occasionnelle ou régulière, pratiquée seul ou en petit groupe, elle met aussi en jeu des quantités de sel qui varient considérablement d’une affaire à l’autre. Cette diversité permet de discerner, derrière une même infraction, des logiques économiques et sociales différentes.
Les profils des faux-sauniers, tels qu’ils ressortent des procès-verbaux ou des interrogatoires, sont des plus variés, même si les informations sont à prendre avec prudence; l’archive judiciaire trouve en effet ici ses limites, puisqu’elle ne nous livre qu’un instantané, forcément partiel quand il n’est pas volontairement falsifié, de la figure de ces individus. La majorité des hommes appréhendés se disent ainsi «laboureurs», ce qui, en l’absence d’autres sources,[24] nous renseigne finalement assez peu sur leur place dans la hiérarchie villageoise. Signalons aussi quelques artisans, comme ce cardeur de laine des Orres, mais également des parcours plus heurtés, tel celui de Joseph Vial, feu Jean, de La Bessée Haute, âgé de 22 ans et arrêté avec un peu plus de 3 livres de sel, qui explique qu’il a d’abord été en service chez un cabaretier de La Bessée Basse
avant de s’en aller «du costé de Grenoble vendre des ecuelles de bois et autres