petits meubles pour gagner sa vie».[25] Près d’un tiers des affaires impliquent des femmes, célibataires plus ou moins jeunes, mariées - le plus souvent à des «journaliers» - ou veuves, telle Claudine Girard, 55 ans, journalière à La Grave.[26] Parmi ces femmes, des mères de famille n’hésitent pas à confier à un de leurs enfants, sans doute moins facilement soupçonnable, la tâche d’aller s’approvisionner en sel au lieu privilégié le plus proche.[27]
Certains individus, bien connus des employés des fermes qui les présentent comme des contrebandiers «de profession», réapparaissent dans plusieurs affaires. C’est le cas d’un certain Jean Gaudissart, «lieutenant de Guillestre» et «fameux fauxsaunier», mentionné à deux reprises en 1754-1755, d’abord comme fournisseur d’un de ses collègues, sergent ordinaire du même lieu, puis comme commanditaire de 330 livres de sel achetées en fraude en Queyras par un laboureur de Risoul. Ce dernier joue vraisemblablement ici le rôle de simple convoyeur, et les questions du juge montrent qu’il soupçonne fortement Gaudissart d’être derrière un troisième individu qui s’est porté caution pour l’accusé le jour même de son arrestation.[28] Bel exemple d’«informalité de privilège» exercée par des donneurs d’ordres qui, bien que notoirement connus, parviennent à demeurer intouchables tant qu’ils ne sont pas pris sur le fait. Jacques Abeil, de La Bessée Haute, est ainsi soupçonné dès 1737 de pratiquer le faux-saunage; quatre ans plus tard, une visite permet de découvrir chez lui, outre 15 livres de sel roux, de la poudre «de contrebande», «environ un quart d’once faux tabac» et un sac de 90 livres de sel caché dans une petite chapelle. La saisie en est d’ailleurs assez mouvementée, la femme et le fils d’Abeil ayant rassemblé «une quantité de peuple hommes et femmes» contre les gardes, accusés, dans un processus d’inversion des rôles révélateur de l’impopularité des «gabelous», d’être «tous la bande de Cartouche».[29] La réaction de ces habitants de L’Argentière, qui continuent jusqu’en 1789 à se plaindre de l’injustice que constitue la césure de leur communauté par le «limitrophe du privilège»,[30] est aussi révélatrice de l’existence, à proximité de ces frontières fiscales, de villages dans lesquels le faux-saunage apparaît comme une activité à part entière. Les habitants des hameaux du Lauzet et du Casset, situés au pied du col du Lautaret, font, avec un certain sentiment d’impunité face aux faibles effectifs des gardes, «un commerce continuel de sortir le sel hors du privilege du Briançonnois»;[31] ceux de Vars sont, toujours aux dires des employés des fermes, «dans lusage daller achepter de sel et autres marchandises prohibées dans la vallée de Barcelonnette province de Provance pays privilégié pour le sel».[32] À l’avantage du nombre, ils ajoutent celui d’une