excellente connaissance du terrain qui leur permet bien souvent d’échapper aux embuscades en gagnant «le haut de la montagne» ou en s’évadant «a la faveur de l’obscurité de la nuit et des broulliards».[33] Certains contrebandiers vont jusqu’à se faire précéder d’«espions» ou de guetteurs chargés de les avertir de la présence éventuelle de gardes embusqués.[34] Juste avant l’arrestation de Catherine Léotaud, qui conduisait un mulet chargé de 118 livres de sel entre L’Argentière et La Roche, les gardes ont ainsi aperçu un homme qui «faisoit des figures avec la main a un quelquun de sevader».[35]
Les quantités de sel saisies varient considérablement d’une affaire à l’autre (de 2 à 634 livres) et le calcul d’une moyenne serait trompeur car il existe très peu de données intermédiaires. En réalité, deux types de pratiques peuvent être assez clairement identifiées. La première, qui porte sur de faibles quantités de sel - moins de 7 livres - très probablement destinées à un usage domestique, relève de la contrebande occasionnelle, diffuse et peu organisée. Elle semble faire partie intégrante des relations économiques de proximité, fondées sur des échanges modestes et réguliers avec la ville la plus proche et sur les services rendus entre voisins. Madeleine Giraud, de La Bessée Basse, est arrêtée à son retour de Briançon avec deux petits paquets de sel, l’un pour elle, l’autre pour sa voisine qui lui a confié quelques sous pour acheter le sel et «une coueffe de toisle pour l[e] mettre».[36] Antoine Rapin, cardeur aux Orres, explique qu’il est allé à la foire de Barcelonnette «achepter des peignes de fert pour son metier» à un homme qui lui a aussi donné 9 livres de sel «en pardon par dessus le marché qu’il avoit faict».[37] Le sel est alors toujours dissimulé tant bien que mal, dans un tablier, une coiffe, sous une robe ou une chemise[38] ou au milieu du chargement d’une monture - fagots de bois, ballots de foin, sacs de seigle ou d’avoine.[39] Le deuxième cas de figure met en jeu des quantités de sel beaucoup plus importantes - le plus souvent supérieures à 50 voire 100 livres - qu’il devient dès lors très difficile de camoufler: les charges les moins lourdes sont transportées sur les épaules, dans des sacs, à «porte col»;[40] les autres nécessitent d’avoir recours à des animaux (mulets, «bourriques» ou juments), ce qui explique que les faux-sauniers circulent de préférence la nuit, sur des chemins détournés.[41]
La finalité est ici bien différente: Claude Philip, laboureur d’Arvieux en Queyras, est arrêté alors qu’il se rend à la foire de Guillestre avec, sur son mulet, des fromages, du beurre, quelques livres de graines de chanvre et un quart de minot de sel pris au grenier du Château-Queyras, qu’il est accusé d’avoir voulu revendre à l’occasion de la foire. Jean-Baptiste Gonnet, du Casset, arrêté
à la frontière du Briançonnais et de l’Oisans avec un mulet chargé de deux