minots de sel, avoue «qu’il se proposoit d’aller le vendre du coté du Villard d’Arene».[42] Lui-même a eu recours à un premier intermédiaire, revendeur illicite de sel au Lauzet, à qui il a donné 37 livres, soit à peine plus que le prix des deux minots pris au grenier de Briançon,[43] ce qui lui laisse une marge confortable pour revendre son sel en Oisans, où la même quantité vaut 53 livres 15 sols au grenier. Les individus appréhendés ne sont souvent, dans ces cas-là, que l’un des maillons d’une chaîne de revendeurs assurés, grâce aux différentiels de prix entre vallées, de faire de plus ou moins grands profits: il est d’ailleurs bien connu des gardes que les habitants des hameaux frontières de la vallée de Barcelonnette achètent du sel «des colporteurs qui lapport[ent] de ladite vallée».[44] S’il contribue simplement, quand il est pratiqué à petite échelle, à améliorer le quotidien en facilitant la conservation des aliments ou en permettant d’entretenir quelques bêtes, le faux-saunage apparaît bien en revanche, dans ces derniers exemples, comme une composante originale de la pluriactivité propre à ces sociétés de montagne.
Une composante originale de la pluriactivité
L’économie de l’illicite vient ici compléter, pour certaines familles et au gré des opportunités, l’agriculture, l’élevage - auquel elle fournit par la même occasion une ressource essentielle -, l’artisanat et la migration.[45] Comme bien d’autres formes de pluriactivité, elle n’implique pas des individus isolés mais relève au contraire d’une stratégie familiale,[46] ainsi que le montrent la place qu’y prennent les femmes et le jeune âge de certains protagonistes. Jeanne Giraud, arrêtée en pleine nuit avec un mulet chargé de 155 livres de sel, raconte que son époux «est allé depuis environ cinq années travailler et gagner sa vie hors du pais dou il n’est pas de retour».[47] Un jeune garçon, trouvé au Monêtier avec plus de deux quintaux de sel mais sans billet de gabellement, répond «effrontement» aux gardes «qu’il luy etoit permis de porter du sel ou il vouloit, quil etoit le fils de Joseph Guise du Casset», qualifié dans le procès-verbal de «fameux contrebandier du sel».[48] Quant à Jacques Fournier, 15 ans, qui se dit laboureur de Ceillac, il explique au juge qu’il est venu à Molines chercher de l’orge et que, «comme iltn’ avoit pas trouvé de l’orge il employa largent quil avoit destiné a cet achapt à un quart de minot de sel», dont la moitié était pour son oncle «quil sçavoit manquer de sel aussy bien que le repondant». Il est arrêté en même temps qu’ un autre jeune homme de Ceillac, Honoré Guérin, venu «mandié son pain dans la