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Première Guerre mondiale et dans l’entre-deux-guerres, et la question a alors une très forte connotation politique avec les retours forcés. Même l’ouvrage classique de W. Bickel ne leur consacre que quelques lignes très sommaires.[1] La perception différente de ces deux phénomènes - émigration et migration de retour - pourtant étroitement corrélés résulte de plusieurs facteurs. En Suisse, la migration de retour n’est pas un phénomène de masse, au contraire de l’émigration. Avant la Première Guerre mondiale, elle est un phénomène larvé, le fait de familles ou d’individus isolés, et se perçoit essentiellement au niveau communal. Comme l’écrit O. Blättler, la très grande majorité de ceux qui sont alors revenus au pays n’avaient guère frappé l’opinion publique, sinon positivement,[2] parce qu’«après une vie de labeur et de succès à l’étranger, ils étaient revenus au pays pour y passer leurs vieux jours et ils étaient perçus soit comme le riche oncle d’Amérique (der reiche Onkel aus Amerika) ou l’émigré taciturne de retour d’outre-mer (der schweigsame Ueberseer)».[3] Il en va tout autrement de la migration de retour qui répercute des bouleversements politiques ou belliqueux - Venise expulsant les ressortissants des Grisons au XVIIIe siècle, la France licenciant les régiments suisses à la Révolution française, la Lombardie expulsant les Tessinois en 1853, la dissolution des régiments étrangers dans nombre de pays après 1830 - et qui, du fait de son ampleur, frappe l’opinion publique, et dont témoignent les gazettes de l’époque. Mais c’est surtout avec le retour de Suisses expulsés de divers pays européens durant la Première Guerre mondiale, le retour massif de Suisses démunis à la suite de la Révolution russe, de même qu’avec les retours nombreux dans le contexte économique difficile de l’entre-deux-guerres que la notion de migration de retour prend de l’importance.[4] Les retours deviennent un objet d’intérêt pour la Berne fédérale, les autorités cantonales et communales et le grand public, aussi en raison du rôle joué par la Confédération dans les décisions concernant les secours et leur attribution, puisque ce ne sont plus seulement les cantons et les communes qui sont responsables des questions de migrations, comme c’était le cas encore au XIXe siècle.

Dans cette contribution, je me propose d’analyser trois points essentiellement, tout d’abord l’évolution de la définition de l’émigration et son corollaire qu’est le retour, ensuite les raisons qui expliquent la non-appartenance de la Suisse à un modèle de fortes pratiques de retour telles que l’ont été des pays comme l’Italie,

certaines régions de l’Espagne et l’Angleterre et finalement, en analysant les formes de l’émigration, montrer que dans nombre de cas la décision du retour a été fortement dépendante des conditions de départ.

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Histoire des Alpes - Storia delle Alpi - Geschichte der Alpen 2009/14