Histoire des Alpes - Storia delle Alpi - Geschichte der Alpen (1997)/03

Histoire des Alpes - Storia delle Alpi - Geschichte der Alpen  (1997)  by M. Kosi
Slowenien - ein Alpenland. Geographische und historische Einführung
source: Index:Labi 1997.djvu

[ 29 ] L’IMAGE ARCHÉOLOGIQUE DES ALPES SLOVÈNES



Drago Svoljšak, Ivan Turk, Slavko Ciglenečki



Zusammenfassung


Das archäologische Bild der slowenischen Alpen


Nach einem Überblick über die archäologischen Fundstellen und Perioden präsentiert der Beitrag zwei neue aussergewöhnliche Ausgrabungen im slowenischen Alpenraum. Der Überblick von Drago Svoljšak zur Zeit vom Paläolithikum bis ins 10. Jahrhundert n. Chr. hebt den Reichtum archäologischer Fundstellen hervor. Anders als im Hochgebirge, wo bisher nur Spuren menschlicher Aktivität dokumentiert sind, gibt es für die Bergtäler eine Fülle von Zeugnissen aus unterschiedlichen Perioden. Ivan Turk präsentiert die Ausgrabungen paläolithischer Materialien in den Höhlen von Divje babe I im Tal der Idrijca. Sie führten 1995 zur Entdeckung eines flötenähnlichen Knochens, der das älteste bekannte Musikinstrument Europas sein könnte (45’000 v. Chr.). Slavko Ciglenečki beschreibt die 1992 begonnene Untersuchung der befestigten Höhensiedlung Tonovcov grad bei Kobarid. Mit ihren vier Kirchen gehört sie zu

den bemerkenswertesten Siedlungen dieses Typs aus der Spätantike.



SITES ARCHÉOLOGIQUES DES ALPES DE SLOVÉNIE


Drago Svoljšak


Le domaine des Alpes et Préalpes slovènes est un territoire géographiquement très varié, formé de régions de très haute montagne (les Alpes Juliennes, le massif des Karavanke, les Alpes Kamniške et Savinjske), d’une vaste zone intra-alpine (elle comprend notamment les ensembles de moyenne montagne [ 30 ]des Cerkljansko hribovje, Skofjelosko hribovje, Polhograjsko hribovje, Po- savsko hribovje, Pohorje), ainsi que des régions tout à fait plates, telle la vallée en cuvette de Ljubljana. Le système hydrographique des Alpes slovènes est constitué, à l’ouest, par le bassin du fleuve Soca, dans sa partie centrale par les rivières Save et Savinja, et à sa limite septentrionale par une partie de la Drave. Ce monde au relief très accidenté, aux conditions climatiques assez différen¬ ciées (incidence des climats méditerranéen à l’ouest et continental au centre), aux phénomènes culturels et linguistiques (dialectaux) très spécifiques, possède de nombreux gisements archéologiques de toutes les périodes et de tous les types (cf. Arheoloska najdisca Slovenije, Ljubljana 1975), des habitats et des nécropoles jusqu’aux dépôts et nombreuses trouvailles isolées. Il n’y a que le terrain de la haute montagne qui soit stérile du point de vue archéologique, mais les pâturages alpestres de Bohinj et, surtout, de Pohorje comptent déjà quelques trouvailles datées de la Préhistoire et de l’Antiquité, témoignant de la précocité des vocations pastorales et minières de ces sites. On pourrait mentionner également les alpages de Dovska planina (1674 m), Velika planina (1666 m), Lipanca (1634 m) et Rudno polje (vers 1450 m). Des noyaux archéologiques caractéristiques à indices d’occupation humaine traditionnelle, longue et ininterrompue se sont formés dans des lieux où la communication était aisée et l’économie prospère, soit au fond de larges cuvettes ou vallées, notamment le long du cours supérieur de la Soca, à Bohinj, dans la cuvette de Bled, dans les Alpes Juliennes, à Kranj, centre de la Haute Carniole, dans la vallée de Ljubljana, avec le marécage de Ljubljansko Barje. Les stations préhistoriques découvertes dans les Alpes slovènes remontent à la plus haute Préhistoire; parmi ces haltes de chasseurs néandertaliens et Cro-Magnons, datées des glaciations du Paléolithique moyen (le Mousté- rien) et supérieur (l’Aurignacien), on trouve les sites de Divje babe dans la vallée de la rivière Idrijca, où fut découverte la plus ancienne flûte connue de l’Europe, datée de 45’000 ans avant notre ère, de Mokriska jama (1500 m; Aurignacien moyen), de Potocka zijalka au pied de la montagne Olseva (1700 m) dans les Alpes Savinjske, qui compte jusqu’ici la plus riche collection de pointes en os d’ours des cavernes (133) de l’Europe, datée de 35’000 ans avant notre ère. S’y ajoutent quelques sites moins connus, comme ceux de Poljsiska cerkev dans la cuvette de Bled, de Matjazeve kamre près de Rovte et de la grotte de Mornova zijalka près de Sostanj. Il faut inclure dans ce groupe la station paléolithique en plein air de Nevlje près de Kamnik, où fut [ 31 ]trouvé un remarquable squelette de mammouth (Prirodoslovni muzej Slo- venije - Musée Slovène des Sciences Naturelles). Les courants de populations venant des noyaux des Carpates et de l’Adria¬ tique à l’Âge de la Pierre inférieur et supérieur (le Néolithique) effleurèrent à peine l’espace alpin Slovène. La configuration de ce terrain ne se prêtait que très mal aux formes d’économie pratiquées alors (l’agriculture, l’éle¬ vage). De cette époque sont datés, en Haute Carniole, les sites de Drulovka, un habitat en pays découvert près de Kranj, et de la grotte Kevderc (Lubnik), de même que deux sites de Pohorje: Brezje, au pied de Brinjeva gora, et Hoce. Le site de Resnikov kanal à Ljubljansko barje daté du Néolithique supérieur et de l’Énéolithique, jusqu’ici le plus ancien habitat sur pilotis connu de l’Europe (le faciès alpin de la culture de Lengyel), annonce déjà le développement spécifique de cette contrée lacustre et marécageuse au sud de Ljubljana - phénomène à part de l’archéologie préhistorique européenne auquel on a donné le nom de culture des palafittes de Ljubljana - caracté¬ risée alors par la plus forte densité démographique de tout l’espace alpin Slovène. Cette culture connut son plein épanouissement à l'Âge du Cuivre (l’Énolithique, environ 2700-1700 av. J.-C.), avec les cités lacustres de Dezmanova kolisca et de Maharski prekop.pour ne citer qu’elles. Quelques- unes de ces cités subsistaient encore à l’Âge du Bronze, au Ile millénaire av. J.-C. (Notranje Gorice, Ig), lorsque le lac - base naturelle des cités lacustres - avait fait place à un terrain marécageux qui se transformait en marais tourbeux (le remplissage de la partie sud de la cuvette de Ljubljana date d’il y a 7000 ans). Sur ce site, nous connaissons déjà neuf cités lacustres. Comme moyen de communication, les habitants des palafittes utilisèrent, entre autres, les célèbres embarcations faites de troncs de chêne évidés, les deblaki (voir le deblak de Matena, Musée National de Ljubljana). Outre la chasse et la cueillette, les habitants des palafittes pratiquaient aussi l’élevage du bétail (porcs, chiens, bovins, moutons et chèvres) et une agriculture modeste (blé); si nous connaissons leurs poteries à formes et ornementations caractéris¬ tiques, ils sont aussi et surtout connus pour être les premiers à pratiquer la métallurgie (cuivre), industrie dont témoignent les trouvailles d’outils de fondeur (poches et louches de coulée, moules, tuyaux de soufflets) et d’objets manufacturés (hache plate, pointes de poignards, bêches). Des traces de pratiques minières de cette époque ont été relevées dans les montagnes de Pohorje (Brezje, Zrece) et dans la région de Posavje. Dans ce contexte, la rivière Ljubljanica (port fluvial antique Nauportus),rat¬ [ 32 ]tachée au conte antique des Argonautes, est un site de premier ordre, riche en trouvailles réparties de l’Énéolithique au Moyen Âge. Les trouvailles archéo¬ logiques livrées par la rivière reflètent d’un côté la vie quotidienne sur ses rives et témoignent, de l’autre, de sa signification pour le commerce (sa na¬ vigabilité est documentée par un bateau de transport du milieu du 1er siècle av. J.-C.) et en tant que lieu de passage (gués, ponts - Vrhnika), ainsi que de son rôle de lieu de culte et d’offrandes aux divinités aquatiques (dans les Alpes, on peut mentionner aussi le lac de Bled - Blejsko jezero, la Save). Du Néolithique inférieur au Néolithique moyen, (environ 1700-1300 av. J.-C.), le milieu alpin ne fut pas suffisamment hospitalier pour une installation définitive, à l’exception, il est vrai, de Ljubljansko barje, où, au Néolithique inférieur, (jusqu’à 1600 av. J.-C.) la civilisation des cités lacustres de Ljubljana était encore en plein épanouissement. Des trouvailles caractéristiques de cette période ont été extraites à Ig (poignard), Lavrica (courte épée), Blatna Bre- zovica et Notranje gorice. Cette période est représentée dans la vallée du fleuve Soca par les trouvailles des sites Turjeva jama près de Robic, et Most na Soci, deux subdivisions alpines de la culture dite des casteUieri méditerranéens du Bronze moyen, caractéristique du Karst et de l’Istrie (et, par extension, de la Dalmatie, de l’ouest des Balkans et de l’Italie septentrionale). Dans les Alpes Juliennes, les trouvailles de Bled datées du Bronze constituent le premier indice d’un peuplement définitif de cette partie prestigieuse de la Slovénie. De cette même période date, à Pohorje, le site de Brinjeva gora au-dessus de Zrece. À cette période remontent aussi les premières sépultures identifiées comme telles. Celles de Brezje au-dessous de Brinjeva gora (nécropole à tumulus) et de Vrhnika appartiennent à la culture des tumuli des Alpes méridionales, de même le site de Mozjanca (deux aiguilles à chas) dans les contreforts de la chaîne de Kamniske Alpe. Quant aux sépultures découvertes à Kamnik et à Bled, elles font partie du groupe culturel de Virovitica, caractérisé par le mode de sépulture à incinération. Le centre de cette culture est situé dans la zone couvrant les bassins des rivières Drave, Mura et Save. Elle se situe au début de la culture dite des Champs d’urnes du Bronze supérieur (1300/1200-800/ 700 av. J.-C.), caractérisée essentiellement par la sépulture à incinération sous tombe plate, diffusée entre la vallée du Danube et l’Atlantique. En Slovénie, il y a deux cultures principales des Champs d’urnes, celle de Dobova-Ruse (dobovsko-ruska) qui, bien qu’arrivée à ses portes en remontant le cours de la Drave (Ruse,Maribor-Pobrezje),n’a fait qu’effleurer l’espace alpin (Brinjeva Gora), et celle de Ljubljana (ljubljanska), dont la nécropole éponyme compte [ 33 ]pas moins de 323 sépultures. Une nécropole analogue, datée déjà du premier Âge du Fer, a été découverte à Tolmin dans la vallée du fleuve Soca. Parmi les vestiges particuliers à la culture des Champs d’urnes, d’appartenance éthnique anonyme, on relève également les dépôts d’objets en métal profanes (commerce, fonderie) ou religieux (offrandes), ou les traces d’inhumations intentionnelles; en Slovénie, il y a plus de trente dépôts connus d’objets, dont quelques-uns dans l’espace alpin (Bled, Zagorje, Creta, Hudinja, Hocko Pohorje). Aux activités de production, de consommation et d’artisanats classiques (agriculture, tissage,poterie), allaient s’ajouter,suite à la découverte d’un nouveau métal (le bronze), l’éclosion de la métallurgie et, localement, l’exploitation de mines (en milieu alpin Pohorje, Cerkljansko), dont témoignent les trouvailles d’outils de mineurs en pierre et en bronze (massette, pointerolle, hache). C’est à l’Âge du Fer ancien (Hallstatt, VlIIe-IVe s. av. J.-C.) que s’établit dans la vallée du cours supérieur de la Soca - un milieu à proprement parler alpin - le groupe culturel de S. Lucia (svetolucijska kulturna skupina) qui possédait tous les attributs d’une communauté montagnarde bien organisée; son territoire comprenait Bohinj, un site riche en minerai de fer (tuile plate). Dans la même vallée toujours, un centre de province fut établi à Most na Soci, ancienne Sveta Lucija/Santa Lucia na Mostu (environ 7000 sépultures à incinération, trente maisons et ateliers d’artisans, la variante de Posocje de l’architecture alpestre de l'Âge du Fer). Une deuxième agglomération im¬ portante était Kobarid, (1400 sépultures, sanctuaire), avec plusieurs agglo¬ mérations mineures dont Bovec,Tolmin (vestiges de la fortification élevée du Kozji rob, un des sites archéologiques médiévaux les plus riches de la Slovénie), Koritnica, Godovic. À Bohinj, reliée au centre de Posocje par des passages en haute montagne, l’agglomération centrale, dont témoignent des vestiges de maisons, de forges et de fonderies, était située sur la hauteur d’Ajdovski gradée. Dans la vallée du cours supérieur de la Soca, la tradition culturelle de S. Lucia, fortement empreinte par les Vénètes, fut perpétuée à l’Âge du Fer supérieur par le groupe culturel d’Idrija (idrijska kulturna skupina), légèrement celtisée au début, puis romanisée (1er s. av. J.-C.); son site principal fut Idrija pri Baci (autres sites: Most na Soci, Reka près de Cerkno, Kobarid, Volarje). Elle est identifiable et caractérisée surtout par les trouvailles d’instruments aratoires et d’outillage en fer ainsi que par trois inscriptions en écriture vénète découvertes à Idrija pri Baci. Les porteurs de cette civilisation furent les Ambisonti. [ 34 ]À l’espace alpin, ou, plutôt, à son extrémité préalpine, à laquelle il ne touche que par sa bordure occidentale et par l’un de ses centres (Vace), appartient aussi le groupe culturel hallstattien de Basse Carniole (dolenjska halstatska kulturna skupina), avec le groupe culturel de S. Lucia de la vallée de Posocje, la seule communauté des Alpes du Sud-Est datée de l'Âge du Fer. Elle est caractérisée par ses nécropoles à tumuli familiales et tribales, par ses habitats fortifiés et, surtout, par l’art des situles qui marque l’apogée de la culture spirituelle de cette époque (la situle de Vace, deux agrafes de ceinture historiées de scènes de chasse de Molnik et Zagorje). En cette période florissante de la Préhistoire Slovène, la région centrale de l’espace alpin (la Haute Carniole) fut en retard par rapport aux autres régions et il fallut attendre l’époque hallstattienne tardive pour qu’elle atteigne un niveau comparable (Bled, Kranj, Menges, Ljubljana). Concernant la partie styrienne des Alpes slovènes, il faut mentionner encore une fois la chaîne de Pohorje, avec les sites de Brinjeva gora et, surtout, de Póstela, qui appartiennent au faciès des Alpes Savinjske et panonnien de l’Âge du Fer. À la fin du IVe siècle av. J.-C., la tribu celtique des Taurisques s’établit dans les bassins des rivières Drave et Save (Podravje et Posavje); elle apportait à ce pays de civilisation hallstattienne en déclin de nouveaux éléments de cultures matérielle, religieuse et spirituelle, dont l’expression fut le groupe culturel de Mokronog (mokronoska kulturna skupina). En remontant la rivière Save, il s’implantait dans le monde alpin jusqu’à Bohinj (Ajdovski gradée, Dunaj près de Jereka - charrues et coutres miniatures comme offrandes vo¬ tives) et le long de la Ljubljanica jusqu’à Vrhnika (Nauportus). Ses centres principaux - à l’exception peut-être de Póstela, Brinjeva gora et Slovenj Gra¬ dée - étaient cependant situés au-delà des limites de l’espace alpin. Nous avons déjà évoqué l’autre groupe de culture laténienne des Alpes slovènes, la communauté des Ambisonti de Posocje. Le processus de la romanisation des communautés préhistoriques de l’espace alpin Slovène - du territoire des Carni et des Taurisques, ainsi que des autres territoires slovènes - s’étendit sur deux siècles et se termina à la fin du règne de l’empéreur Auguste. Les principaux axes de communication (Aquileia- Emona qui se prolongeait vers la Pannonie et Siscia, Aquileia-Tergeste qui menait vers la Dalmatie, Aquileia-Virunum) ont plus ou moins évité les montagnes difficiles à traverser (à quelques exceptions près: la voie princi¬ pale reliant Celeia/Celje par Colatium/Stari trg près de Slovenj Gradée à Virunum en Carinthie, l’étape entre Vrhnika et Vransko de la route Aquileia[ 35 ]Emona-Celeia, avec le col de Trojane/Atrans antique, ainsi que les anciennes voies préhistoriques utilisées comme routes vicinales), qui, entre les 1er et Ile siècles, dépendaient pour la plupart de l’administration du Regio X Italiae (aux IVe-Ve siècles de la Provincia Venetia et Histria) et du Norique (Provincia Noricum, Noricum Mediterraneum). La colonie romaine Emona/Ljubljana est la première agglomération urbaine de l’arrière-pays de l’Adriatique (elle existait probablement déjà à la deuxième moitié du 1er s. av. J.-C., à l’époque de la campagne d’Octavien en Illyrie). Elle a repris la fonction de Naupor- tus/Vrhnika et fut, durant toute l’Antiquité, un centre de première importance. Dans les Alpes, nous connaissons aussi les noms du centre microrégional de Carnium/Kranj et de Colatium (déjà cité). Une place importante revient à l’agglomération de Most na Soci, dans la vallée du fleuve Soca, puisqu’elle fut l’un des centres alpins les plus remarquables au temps de l’occupation romaine. Un sanctuaire, dont l’origine remontait à la Préhistoire, remplissait encore sa fonction à Kobarid. Deux régions cependant furent plus peuplées encore: la cuvette de Ljubljana et la région du cours supérieur de la rivière Save (la Haute Carniole); la densité de la population est documentée par un grand nombre de nécropoles (dont celles de Kokrica) et d’habitats ruraux (Rodine, Menges), des sanctuaires rupestres (Godicprès de Kamnik) et de nombreuses trouvailles isolées (notamment deux fibules en or de type norico-pannonien du Kranjski Rak). La même densité de peuplement est documentée encore dans la partie des Alpes slovènes comprise entre les Alpes Savinjske et Pohorje, où des trouvailles datées de l’occupation romaine furent relevées le long des corridors routiers, un groupe mineur dans la vallée de la rivière Savinja aux environs de Mozirje, et sur les contreforts de Pohorje. La partie centrale et occidentale du territoire Slovène actuel, dont fait partie le domaine des Alpes, fut organisée en 170 environ en Marche militaire (Praetentura Italiae et Alpium). À la fin du Ille siècle fut implanté entre le golfe de Kvarner et la vallée du fleuve Zilja un système de barrières alpines (Claustra Alpium Iuliarum), dont les structures (mur de la barrière, tours, fortifications) constituent un vaste site archéologique. Dans la zone alpine, les vestiges de ces barrières se trouvent à Koritnica dans la gorge de Baska grapa, à Vojsko et à Vrhnika. Au milieu du Ve siècle fut constitué dans cette importante zone stratégique (avec Liburnia et Valeria de Tarsatica) un centre administratif Carneola ou Alpes Iuliana, comprenant surtout, outre une partie de la Carniole Intérieure, la Haute Carniole, la région centrale des Alpes slovènes. [ 36 ]Emona-Celeia, avec le col de Trojane/Atrans antique, ainsi que les anciennes voies préhistoriques utilisées comme routes vicinales), qui, entre les 1er et Ile siècles, dépendaient pour la plupart de l’administration du Regio X Italiae (aux IVe-Ve siècles de la Provincia Venetia et Histria) et du Norique (Provincia Noricum, Noricum Mediterraneum). La colonie romaine Emona/Ljubljana est la première agglomération urbaine de l’arrière-pays de l’Adriatique (elle existait probablement déjà à la deuxième moitié du 1er s. av. J.-C., à l’époque de la campagne d’Octavien en Illyrie). Elle a repris la fonction de Naupor- tus/Vrhnika et fut, durant toute l’Antiquité, un centre de première importance. Dans les Alpes, nous connaissons aussi les noms du centre microrégional de Carnium/Kranj et de Colatium (déjà cité). Une place importante revient à l’agglomération de Most na Soci, dans la vallée du fleuve Soca, puisqu’elle fut l’un des centres alpins les plus remarquables au temps de l’occupation romaine. Un sanctuaire, dont l’origine remontait à la Préhistoire, remplissait encore sa fonction à Kobarid. Deux régions cependant furent plus peuplées encore: la cuvette de Ljubljana et la région du cours supérieur de la rivière Save (la Haute Carniole); la densité de la population est documentée par un grand nombre de nécropoles (dont celles de Kokrica) et d’habitats ruraux (Rodine, Menges), des sanctuaires rupestres (Godicprès de Kamnik) et de nombreuses trouvailles isolées (notamment deux fibules en or de type norico-pannonien du Kranjski Rak). La même densité de peuplement est documentée encore dans la partie des Alpes slovènes comprise entre les Alpes Savinjske et Pohorje, où des trouvailles datées de l’occupation romaine furent relevées le long des corridors routiers, un groupe mineur dans la vallée de la rivière Savinja aux environs de Mozirje, et sur les contreforts de Pohorje. La partie centrale et occidentale du territoire Slovène actuel, dont fait partie le domaine des Alpes, fut organisée en 170 environ en Marche militaire (Praetentura Italiae et Alpium). À la fin du Ille siècle fut implanté entre le golfe de Kvarner et la vallée du fleuve Zilja un système de barrières alpines (Claustra Alpium Iuliarum), dont les structures (mur de la barrière, tours, fortifications) constituent un vaste site archéologique. Dans la zone alpine, les vestiges de ces barrières se trouvent à Koritnica dans la gorge de Baska grapa, à Vojsko et à Vrhnika. Au milieu du Ve siècle fut constitué dans cette importante zone stratégique (avec Liburnia et Valeria de Tarsatica) un centre administratif Carneola ou Alpes Iuliana, comprenant surtout, outre une partie de la Carniole Intérieure, la Haute Carniole, la région centrale des Alpes slovènes. [ 37 ]Emona-Celeia, avec le col de Trojane/Atrans antique, ainsi que les anciennes voies préhistoriques utilisées comme routes vicinales), qui, entre les 1er et Ile siècles, dépendaient pour la plupart de l’administration du Regio X Italiae (aux IVe-Ve siècles de la Provincia Venetia et Histria) et du Norique (Provincia Noricum, Noricum Mediterraneum). La colonie romaine Emona/Ljubljana est la première agglomération urbaine de l’arrière-pays de l’Adriatique (elle existait probablement déjà à la deuxième moitié du 1er s. av. J.-C., à l’époque de la campagne d’Octavien en Illyrie). Elle a repris la fonction de Naupor- tus/Vrhnika et fut, durant toute l’Antiquité, un centre de première importance. Dans les Alpes, nous connaissons aussi les noms du centre microrégional de Carnium/Kranj et de Colatium (déjà cité). Une place importante revient à l’agglomération de Most na Soci, dans la vallée du fleuve Soca, puisqu’elle fut l’un des centres alpins les plus remarquables au temps de l’occupation romaine. Un sanctuaire, dont l’origine remontait à la Préhistoire, remplissait encore sa fonction à Kobarid. Deux régions cependant furent plus peuplées encore: la cuvette de Ljubljana et la région du cours supérieur de la rivière Save (la Haute Carniole); la densité de la population est documentée par un grand nombre de nécropoles (dont celles de Kokrica) et d’habitats ruraux (Rodine, Menges), des sanctuaires rupestres (Godicprès de Kamnik) et de nombreuses trouvailles isolées (notamment deux fibules en or de type norico-pannonien du Kranjski Rak). La même densité de peuplement est documentée encore dans la partie des Alpes slovènes comprise entre les Alpes Savinjske et Pohorje, où des trouvailles datées de l’occupation romaine furent relevées le long des corridors routiers, un groupe mineur dans la vallée de la rivière Savinja aux environs de Mozirje, et sur les contreforts de Pohorje. La partie centrale et occidentale du territoire Slovène actuel, dont fait partie le domaine des Alpes, fut organisée en 170 environ en Marche militaire (Praetentura Italiae et Alpium). À la fin du Ille siècle fut implanté entre le golfe de Kvarner et la vallée du fleuve Zilja un système de barrières alpines (Claustra Alpium Iuliarum), dont les structures (mur de la barrière, tours, fortifications) constituent un vaste site archéologique. Dans la zone alpine, les vestiges de ces barrières se trouvent à Koritnica dans la gorge de Baska grapa, à Vojsko et à Vrhnika. Au milieu du Ve siècle fut constitué dans cette importante zone stratégique (avec Liburnia et Valeria de Tarsatica) un centre administratif Carneola ou Alpes Iuliana, comprenant surtout, outre une partie de la Carniole Intérieure, la Haute Carniole, la région centrale des Alpes slovènes. [ 38 ]CHOIX BIBLIOGRAPHIQUE

Ouvrages généraux sur l’archéologie et les sites archéologiques (y compris les sites alpestres) de la Slovénie:

Arheološka najdišča Slovenije, Ljubljana 1975.

Varstvo spomenikov 1-34, Ljubljana 1948-1994.

Enciklopedija Slovenije 1-10 (A-Sa), Ljubljana 1987-1996.

Praistorija jugoslavenskih zemalja 1-5, Sarajevo 1979-1987.

Arheološki vestnik 1-46, Ljubljana 1950-1995.

Poročilo o raziskovanju paleolita, neolita in eneolita v Sloveniji 1-, Ljubljana 1964-.

Katalogi in monografije 1-30, Ljubljana 1955-1996.

Situla 1-34, Ljubljana 1960-1996.

P. Petru, «Arheološka obdobja v Sloveniji»,in: Zgodovina Slovencev, Ljubljana 1979,17-88.

B. Grafenauer, Zgodovina slovenskega naroda I, Ljubljana 1964.



La Situle de Vače, partie centrale historiée (dessin). [ 39 ]

La Situle de Vače (vue d’ensemble).



[ 40 ]

Sites archéologiques des Alpes de Slovénie



[ 41 ]DÉCOUVERTE D'UNE FLÛTE EN OS ET AUTRES VESTIGES IMPORTANTS DU SITE PALÉOLITHIQUE DE DIVJE BABE I

Ivan Turk

Le site paléolitique de la grotte de Divje babe I est situé dans la vallée pittoresque de la rivière Idrijca, à l’endroit où celle-ci s’élargit quelque peu en s’ouvrant à d’autres vallées ainsi qu’aux plateaux voisins, les Sebreljska et Sentiviska pianota. Rien d’étonnant que lors de ses migrations continuelles, l’homme de Néandertal eût choisi de faire halte à cet endroit précis, dans cette grotte d’accès difficile. Nous parlons de l’homme de Néandertal, sans connaître toutefois l’identité réelle des visiteurs de cette grotte du Paléolithique. À vrai dire, on n’a pas encore découvert en Slovénie de restes fossiles d’habitants de l’époque glaciaire. Dans la grotte de Divje babe I, il n’y a pas trace d’un habitat permanent des Néandertaliens; on ne dispose d’aucun indice (tentes ou cabanes, éclats, restes de taille d’outils en pierre) qui confirmerait sa présence. Ces habitats auraient pu se trouver quelque part dans la vallée, probablement sur une terrasse pléistocène dominant le lit de la rivière, au pied de la grotte. De là, il y a la vue directe sur le site de Divje babe I, situé à peu près à mi-côte, dans le versant rocheux abrupt sillonné de ravins et de crêtes, soit la bordure septentrionale du plateau de Sebreljska pianota. L’entrée de la grotte s’ouvre dans l’ubac à 230 m au-dessus de la rivière Idrijca et à 450 m au-dessus du niveau de la mer. Cet endroit peu accueillant porte bien son nom: Divje babe (les vieilles sauvages). De là, aussi, le nom de la grotte. En réalité, il s’agit de deux grottes, l’une étant située au-dessus de l’autre. Celle d’en bas, plus grande, servit à plusieurs reprises de refuge à l’homme de Néandertal. Elle a 45 m de long et au plus 15 m de large. C’est le vestige d’une caverne plus grande, presque entièrement comblée au cours des dernières cent mille et plus d’années. Les dépôts du versant où se trouve l’entrée de la grotte, au pied de la haute falaise, ont plus de trente mètres d’épaisseur. En quatorze années de fouilles, on n’a réussi à exhumer et à examiner qu’une quantité infime de ces dépôts, soit 12 m.

Les chercheurs de l’institut archéologique du Centre de recherches scientifiques de l’Académie Slovène des Sciences et des Arts ont effectué tout d’abord des fouilles à l’entrée de la grotte. Les fouilles des années 1980-1986, menées par Mitja Brodar, ont porté sur 300 m3de dépôts appartenant à vingt-six couches sédimentaires. À cette époque, les dépôts n’étaient pas criblés. [ 42 ]Malgré cela, on a réussi à y découvrir la plupart des vestiges du Paléolitique moyen faits jusqu’ici, les plus importants tout au moins: foyers et outils en pierre taillée. L’élaboration très ingénieuse de certains outils (grattoirs, perçoirs, racloirs, etc.) laisse supposer l’existence chez l’homme de Néandertal d’un certain sens esthétique. Ces objets ont été découverts à huit niveaux d’âges différents. En Slovénie, seul le site de Betalov spodmol, près de Postojna, compte un nombre plus grand de vestiges de la même période.

Aujourd’hui, les fouilles sont poursuivies à l’intérieur de la grotte. Dirigées depuis 1989 par Ivan Turk, elles ont porté durant les années 1990-1995 sur 200 m3 de dépôts et les huit couches les plus jeunes. Au moyen d’un téléphé¬ rique, les dépôts sont transportés dans la vallée où les chercheurs procèdent au ruissellement et à l’examen, en passant par le criblage à trois épaisseurs différentes. À Ljubljana, on procède ensuite à l’analyse des déblais qui n’ont pu être examinés sur le champ de fouilles. La totalité des vestiges - non archéologiques compris - ainsi que les échantillons des sédiments les plus fins sont conservés selon l’unité de champ, soit 0,1 m3 de dépôt. Jusqu’ici, ces unités sont au nombre de 2000. Elles fournissent vingt à trente données différentes permettant une reconstitution historique des événements dans la grotte.

À l’intérieur de la grotte, dans la couche 2, on a découvert un horizon paléolithique contenant des sagaies en os, dont une à base fendue. Sans aucun doute, cet horizon peut être comparé à la grotte de Potocka zijalka (1700 m), sur la montagne Olseva, où, il y a plus de soixante ans, Srecko Brodar (1893-1987) trouva jusqu’à 130 sagaies semblables, dont une à base fendue. Elles proviennent de l’Aurignacien, période du début du Paléolithique supérieur européen. En Europe, les gisements paléolithiques contenant des sagaies en os de type aurignacien sont plutôt rares. Ils renvoient à l’émergence et à l’expansion des Cro-Magnons sur ce territoire, où séjournèrent, avant leur arrivée, les Néandertaliens et leurs ancêtres. La datation au radiocarbone place l’origine de la couche 2 avec ses sagaies en os à 33’000 ans avant notre ère. C’est aussi l’âge radiocarbonique moyen de tous les gisements aurignaciens à sagaies en os européens.

Les conditions de vie qui régnaient durant la dernière glaciation, au maximum de l’époque glaciaire (il y a 20’000 ans), dans le territoire correspondant à la majeure partie de la Slovénie actuelle sont comparables à celles que connaissent aujourd’hui les régions montagneuses de même latitude de la Mongolie.

Où le site de Divje babe I se situe-t-il dans cette dernière glaciation? Les huit [ 43 ]couches de dépôts supérieures datent vraisemblablement de la seconde moitié de la période Interpléniglaciaire, période intermédiaire entre deux maximums de glaciation (Pléniglaciaires), qui connut deux réchauffements climatiques au moins. Cette période, dénommée Hengelo d’après le site éponyme néerlandais, est désignée en Slovénie comme l’interstade (phase tempérée de l’époque glaciaire) de Potocka zijalka. On a émis l’hypothèse que la majorité des vestiges paléolithiques remontaient à la première moitié de la période Interpléniglaciaire. Les dix couches inférieures sont supposées antérieures au premier maximum de glaciation, période Pléniglaciaire d’il y a 70’000 d’années. Toutes les hypothèses sur l’âge des couches et des vestiges sont établies sur la base de différentes méthodes radiométriques ainsi que de la chronologie, de la diagenèse des sédiments et de leur contenu archéologique et paléontologique.

À l’instar d’autres gisements paléolithiques de Slovénie et d’Europe, le site de Divje babe I a livré une quantité énorme de restes d’ours des cavernes. En général, il s’agit d’animaux morts dans la grotte pendant ou après l’hibernation. La décomposition de leurs restes a agi sur la transformation des dépôts, d’où la coloration actuelle, très variée, des couches. Des agglomérats de phosphates non consolidés s’y sont également formés. Par hasard, on a découvert à l’intérieur de ces agglomérats des poils d’ours des cavernes fossilisés. La ressemblance avec les poils d’ours de notre temps est surprenante. Il s’agit d’authentiques fossiles relevés sous cette forme pour la première fois à Divje babe I précisément, quoiqu’ils soient présents également dans presque toutes les grottes contenant un nombre important de vestiges d’ours des cavernes. En procédant à l’étude du profil d’âge des ours découverts à Divje babe I, Irena Debeljak, chercheur de l’institut Paléontologique du Centre de recherches scientifiques de l’Académie Slovène des Sciences et des Arts, a fait une autre découverte surprenante. Elle a estimé leur âge en comptant les cercles annuels du cément des racines dentaires. Par ce biais, il est possible de déterminer avec une grande précision (jusqu’à un an près) l’âge individuel des ours des cavernes. Plus de la moitié des individus sont morts avant d’atteindre l’âge d’un an, la plupart avaient entre six et huit mois. Les ours mettant bas en février, le taux de mortalité devait être le plus élevé en été, un résultat conforme aux attentes. Mais, contrairement à ce qui fut supposé par le passé, la raison de cette mortalité n’est pas imputable à la chasse: il faut l’attribuer aux difficultés d’adaptation, au changement d’alimentation et à l’agressivité des mâles en rut qui, en période d’activité sexuelle, pouvaient tuer un grand [ 44 ]nombre de jeunes moins vigoureux. Les mêmes phénomènes sont connus encore aujourd’hui de toutes les espèces d’ours vivantes.

En été 1995, Ivan Turk et Janez Dirjec découvrirent à Divje babe I un os percé de trous qui ressemble beaucoup à un sifflet ou à une flûte. Cette trouvaille suscita un grand intérêt en Slovénie ainsi qu’à l’étranger. Les explorations ultérieures de ce site et d’autres, similaires, pourront démontrer s’il s’agit ou non d’une découverte sensationnelle. La découverte provient d’un champ de fouilles à l’intérieur de la grotte. Elle fut relevée à proximité d’un petit foyer. Des branches de pin, de sapin, d’if et de mélèze ainsi que des os frais avaient servi de combustible. Deux mandibules d’ours des cavernes, auxquels on aurait autrefois attribué une fonction d’objet de culte, ont été découvertes près du foyer. Le profil le plus proche présente des couches de l’époque glaciaire, plissées par la cryoturbation et, au-dessous, des couches d’origine glaciaire également mais plus horizontales. Parmi celles-ci, la dernière couche déblayée (couche 8) s’est cimentée en brèche (sédiment cimenté d’éléments anguleux) ; la datation au radiocarbone indique qu’elle s’est formée, sans autres sédiments, dans une période tempérée et humide de l’époque interpléniglaciaire, il y a 45’000 ans environ. L’hypothétique flûte, trouvée in situ, cimentée dans la brèche, est antérieure à cette période tempérée ou à l’interstade. La couche 5, au-dessus, est supposée contemporaine à la couche inférieure aurignacienne de Potocka zijalka. Les dépôts de Divje babe I comprenant, en dessous de la couche 3, des vestiges du Paléolithique moyen attribués le plus souvent aux Néandertaliens, il est possible que ces derniers et les CrosMagnons aient séjourné en même temps tant à Potocka zijalka qu’à Divje babe I. À Divje babe I, les traces distinctes des Cros-Magnons ne sont identifiées que dans la couche 2 datée d’il y a 35’000 ans.

Les extrémités de l’hypothétique flûte sont abîmées. Les cassures arrondies témoignent de son âge fossile. Toutes ces caractéristiques ne distinguent en rien cet os du restant des nombreux fragments osseux relevés. Sa couleur beige-brun est caractéristique de la couche 8. L’objet est fabriqué à partir d’un fémur d’un ours des cavernes âgé de 15 mois environ. Des 180 m3 de dépôts étudiés - couche 7 comprise - furent extraits exactement 300 restes osseux appartenant au fémur (os de grande ou petite taille, fragments). La plupart des traces artificielles relevées sur les os sont le fait de dents de carnivores, ce qui s’explique facilement. En premier lieu, cette grotte servit effectivement de tanière et de charnier, attirant les animaux se nourrissant de charognes. En dehors des ours des cavernes, ce furent surtout des loups dont [ 45 ]on retrouve ici les fossiles les plus nombreux de toute la Slovénie. Avec leurs dents, les loups peuvent percer des petits trous dans un os, mais pas de cette taille et de cet espacement. Autre animal qui aurait été capable de percer l’os: l’hyène des cavernes dont la denture plus massive et surtout plus forte est à même de rompre les os. Or, on n’a pas relevé de restes osseux d’hyène, un animal d’ailleurs très rare en Slovénie. Enfin, une analyse détaillée d’un grand nombre d’os très petits, que les hyènes auraient simplement pu avaler, exclut la présence d’hyènes sur ce site.

Pour interpréter la découverte, il est très important d’étudier la forme, la position et l’espacement des petits trous. La technique de perforation est très rudimentaire. Tous les indices laissent supposer que l’os fut foré par un outil de pierre ou transpercé par les dents. Il n’y a pas de différence entre les trous forés et les trous percés par les dents d’animaux. Ceux-ci ressemblent au mieux aux trous de la flûte aurignacienne de la grotte d’Isturitz en France, et au trou de la flûte de la grotte d’Istalloskô en Hongrie. Tous les trous d’os les plus anciens connus jusqu’ici ont été obtenus soit par percussion, soit par intaille ou par incision. Aucun n’a été vrillé, quoique le Paléolitique moyen connût des outils en pierre taillée dénommés perçoirs à cause de leur forme. Les outils de ce type font également partie des vestiges du site de Divje babe I. De toute évidence, la technique de perçage à l’aide d’un outil n’était pas encore connue à l’époque, sinon elle eût été utilisée pour percer des trous dans les os.

C’est d’ailleurs la technique la plus facile, puisqu’il suffit d’un simple bord d’éclat tranchant. L’intaille et l’incision sont lentes et difficiles à exécuter. La technique la plus simple est la percussion, mais elle nécessite des outils et de l’habileté. C’est la seule technique qui n’a pas donné de résultats satisfaisants lors des expérimentations. Par conséquent, on a quelques doutes au sujet de la fabrication de trous par ce procédé. Il se peut qu’initialement les hommes aient eu recours à une technique observée chez les animaux; plus tard seulement, ils auraient développé d’autres méthodes, plus appropriées, parmi lesquelles le perçage serait venu en dernier. La problématique identification de l’origine des trous rend difficile toute classification de l’objet. La disposition des trous sur une ligne et leur écart régulier plaident en faveur de la flûte. En effet, l’un et l’autre sont très différents de ceux des exemplaires troués par les animaux, qui sont percés ou amorcés à proximité des articulations, l’espace entre les petits trous et les petits creux étant supérieur ou inférieur à celui de l’exemplaire de Divje babe I. Ici, la disposition des trous est identique à celle de la plupart des flûtes du Paléolithique; elle correspond à la distance entre [ 46 ]les doigts du musicien jouant d’une main. Lorsque l’instrument est joué à deux mains - en nous limitant à la technique seule - l’écart entre les trous n’a pas la même importance. Il se peut, naturellement, que cet écart soit tout à fait fortuit. L’interprétation proposant l’hypothèse de la flûte en os trouve les parallèles les plus proches dans les exemples du Potocka zijalka et de la grotte d’Istallôskô, en Hongrie. La flûte de Potocka zijalka est faite à partir de la mandibule d’un ours des cavernes. Les petits trous ont été obtenus par percussion ou par transpercement. Les traces de dents identifiées sans doute possible sur une autre mandibule, également trouée, nous font douter que les mandibules perforées soient l’œuvre de mains humaines. L’os façonné de la flûte d’Istalloskô est tout à fait identique à celui de l’exemplaire de Divje babe I. Il a un trou creusé et deux autres obtenus par percussion. Les sagaies d’os aurignaciennes, fournies par ces deux sites, sont les plus riches en Europe. Ces deux sifflets, ou flûtes, datent de l’Aurignacien. Ils ont été fabriqués par un Cro-Magnon et sont d’au moins 10'000 ans postérieurs à la trouvaille de Divje babe I. En Europe, il n’y a que deux gisements de flûtes aurignaciennes connus: l’un au sud de la France (Isturitz) et l’autre au sud de l’Allemagne (Geissenklôsterle). En France surtout, on connaît d’autres objets similaires et encore plus récents. Pour la plupart, ils sont confectionnés en os d’oiseaux. En général, les trous de ces exemplaires ne posent pas problème en ce qui concerne la technique de leur exécution.

Il est certain que par sa datation, son contexte et sa forme, l’os doté de trous de Divje babe I représente une découverte extrêmement intéressante et de grande importance scientifique. Toutefois, à l’heure actuelle et en l’état de nos connaissances, nous ne pouvons tirer qu’une conclusion provisoire qui, peut-être, le restera: tout porte à croire à l’existence d’une flûte, mais on ne dispose d’aucune preuve convaincante pour le moment.

BIBLIOGRAPHIE

I. Turk, F. Cimerman, J. Dirjec, S. Polak, J. Majdic, «45’000 let stare fosilne dlake jamskega medveda iz najdišča Divje babe I v Sloveniji = Fossilised cave bear hairs from 45’000 years ago found at Divje babe I in Slovenia», in: Arheološki vestnik 46, Ljubljana 1995,39-51.

I. Turk, «Ali so v Sloveniji našli najstarejše glasbilo v Evropi? (The Oldest Musical Instrument in Europe Discovered in Slovenia?)», in: Razprave SAZU VI/36, Ljubljana 1995,189-293.


[ 47 ]I. Turk, Moustérienska «koščena piščal» in driige najdbe Divjih bab I - Slovenija = Mousterian «Bone Flute» and other Finds from Divje babe I Cave Site - Slovenija. - Opera Instituti Archaeologici Sloveniae 2, Ljubljana 1997.

I. Turk, J. Dirjec, B. Kavur, «A t’on trouvé en Slovénie le plus vieil instrument de musique d’Europe?», in: L’Anthropologie (à paraître).


La flûte de Divje babe I en Slovénie.


La flûte de Potocka zijalka en Slovénie. [ 48 ]

La flûte de la grotte d’Isturitz en France.


La flûte de la grotte d’Istallósko en Hongrie.



[ 49 ]UN HABITAT FORTIFIÉ DE L'ANTIQUITÉ TARDIVE, TONOVCOV GRAD PRÈS DE KOBARID

Slavko Ciglenečki


Les archéologues slovènes se consacrent depuis près d’un quart de siècle aux fouilles des fortifications sises en des lieux élevés, habitat le plus caractéristique de la période de l’Antiquité tardive. Aux Ve et Vie siècles surtout, lorsque Huns, Ostrogoths, Lombards, Avars et Slaves traversaient le territoire Slovène actuel pour se rendre dans la péninsule italienne, les habitats indigènes situés sur des hauteurs naturellement protégées - véritables nids d’aigle - furent le type dominant. Ils ont contribué pour une large part au renouveau de nos connaissances sur la période des migrations de populations, méconnue jusqu’ici, et sur le rôle du substrat indigène dans l’éthnogenèse des Slovènes. Pour ne mentionner que quelques exemples, citons Ajdovski gradée pri Sevnici au-dessus de Vranje, Rifnik au-dessus de Sentjur.Tinje pri Zusmu au-dessus de Loka, Gradée près de Prapretno, Kucar au-dessus de Podzemlj, Ajdovscina au-dessus de Rodik, Korinjski hrib au-dessus de Veliki Korinj, Ajdna audessus de Potoki, Polhograjska gora; la liste pourrait être allongée encore. Récemment, alors que nous pensions connaître toutes les stations importantes de la Slovénie, nous avons été agréablement surpris par la découverte, dans une zone n’ayant fourni jusqu’ici que quelques trouvailles de l’Antiquité tardive d’importance mineure et surtout dispersées, d’une place forte remarquablement conservée de cette époque précisément: Tonovcov grad près de Kobarid.

Dans les études archéologiques, ce site fut mentionné pour la première fois en 1882 par l’historien Simon Rutar. Dans un compte rendu des fouilles préhistoriques et romaines en Slovénie, de 1890, il évoqua encore une fois ce site en liaison avec une voie romaine descendant en pente douce de Gradic jusqu’à un fossé derrière Tonovcov grad. En 1992, quelques trouvailles d’objets archéologiques significatifs attirèrent l’attention sur l’importance de ce site et sur sa datation présumée de l’Antiquité tardive; elles furent à l’origine de nouvelles recherches. En 1993 déjà furent effectués les premiers sondages archéologiques ainsi que des prises de vue minutieuses de l’habitat, avec toutes ses constructions ressortant parfaitement du terrain accidenté. Les vestiges mis à jour par les fouilles effectuées jusqu’ici et l’architecture que laisse entrevoir le terrain accidenté inscrivent le site parmi les plus remarquables [ 50 ]de l’Antiquité tardive dans l’espace des Alpes; elles complètent considérablement les connaissances déjà riches et variées sur les forteresses de l’Antiquité tardive en Slovénie et fournissent de nouvelles matières à réflexion sur le tableau ethnique de l’époque antérieure au peuplement slave.

Au nord de Kobarid, un bloc rocheux se détacha une fois du massif de Babe (8772 m). Il roula et s’enfonça dans la vallée du fleuve Soca à l’endroit où son cours serpentant au pied des versants rocheux est le plus pittoresque. Les pentes de cette montagne aujourd’hui boisée sont de tous côtés abruptes; par-ci, par-là, des rochers gris s’élevant au-dessus des arbres annoncent un accès difficile au site. En effet, on n’y parvient que par un unique sentier, vraisemblablement l’ancien accès au site. Le bloc rocheux descend en pente raide vers le fleuve Soca, fermant complètement le flanc droit du défilé. Dans le sens de la longueur, l’éminence mesure quelques centaines de mètres. L’habitat n’occupait que sa partie occidentale, naturellement mieux protegée; le haut de sa partie orientale est d’accès plus facile alors que le bas se termine par une paroi rocheuse. Durant l’Antiquité tardive, l’accès au site fut protégé par un mur, dont les vestiges sont observables tout au long de la pente escarpée jusqu’au sommet, où il rejoint l’enceinte de la place forte. En son temps, il représentait sans doute un obstacle supplémentaire pour les intrus voulant s’introduire dans la forteresse, protégeant aussi, en partie, le terrain découvert situé devant la fortification et destiné probablement au refuge du bétail en cas de danger. Nous connaissons deux forteresses de même type, l’une et l’autre de l’Antiquité tardive également: Podgradina du Glamocko polje et Sant’Antonio, en Ligurie. La partie septentrionale de l’espace situé devant la fortification se terminait par un rebord plutôt raide, dissimulant un mur ou un rempart. D’ici, le chemin monte en pente douce vers l’habitat. Il est tracé de sorte à laisser d’éventuels assaillants s’approcher de la fortification en présentant leur flanc droit, non protégé, vers le rempart. Le chemin ainsi tracé, ainsi que l’espace vide nettement distinct des constructions serrées le long de l’enceinte laissent supposer qu’il s’agit là de l’entrée principale. Le choix de ce site comme emplacement d’un habitat est pertinent: la plupart des constructions sont situées sur la partie haute de l’élévation un peu allongée, flanquée à l’est et à l’ouest de deux monticules de quelques mètres plus hauts. Le terrain montant légèrement aussi du côté sud, l’habitat est parfaitement protégé des vents de trois côtés.

L’aire du sommet, protégée par l’enceinte et les escarpements, mesure 150 x 90 m. À l’est, on voit un rempart de 80 cm d’épaisseur, fermant l’habitat [ 51 ]sur toute sa largeur. Sans effectuer des fouilles, il est impossible de distinguer avec certitude s’il est appuyé sur un remblai de terre - peut-être préhistorique - ou si le rempart dissimulé par le terrain n’est que le vestige d’une ancienne enceinte plus haute. La clôture sud a soit disparu, soit jamais atteint le rebord de la paroi rocheuse située au sud. Ici, nous pourrions supposer l’existence d’une deuxième entrée de la place forte, permettant l’indispensable communication avec l’autre partie, moins protégée de l’élévation. L’enceinte nord est moins apparente puisque ce côté est bordé sur toute sa longueur de différentes petites constructions. Ce côté étant d’accès plus facile, donc plus menacé, on peut supposer que ce n’étaient pas de simples habitations et que leur étage supérieur - pour autant qu’il ait existé - avait servi surtout à la défense.

À l’intérieur de l’enceinte, il y a des vestiges de constructions dont le plan, bien repérable sur le terrain, permet une reconstitution approximative de l’habitat antique. Pour la plupart des bâtiments, on peut également distinguer le nombre des pièces et leur disposition. Par contre, rien ne permet d’entrevoir si la rangée des maisons fut continue ou si elle était interrompue par endroits par de petites cours ou des espaces intermédiaires.

Le caractère des constructions éloignées de l’enceinte est plus évident. C’est en particulier vrai de celle située tout près de l’entrée, la fermant en quelque sorte. Elle a été minutieusement fouillée en 1994. La pièce centrale, à laquelle menait l’entrée munie d’un porche et qui réunissait notamment les fonctions d’habitation et de dépôt, est caractéristique de cette époque sous plusieurs aspects. Près d’une encoignure se trouvait un foyer entouré de petites fosses à provisions creusées dans le sol et, probablement, de planches à vaisselle. Entre le foyer et le mur, on peut imaginer un long lit de planches, à l’abri du froid nocturne du fait de la proximité du foyer. Les pièces d’une charrue, trouvées dans un autre coin, font penser qu’une partie de la pièce a pu servir de remise à outils et de silo. À l’entrée de la maison, surmontée d’un auvent soutenu par le porche et par une poutre, de nombreux petits objets furent trouvés, laissant supposer que, par beau temps, divers travaux domestiques ou artisanaux étaient exécutés ici. Du côté sud de la maison, il y avait une construction adjacente contenant le four. Les nombreux objets découverts dans et autour de la maison éclairent très bien la vie de ses habitants; ils permettent en outre de dater avec précision l’époque de sa construction et celle de son déclin (env. 495-env. 600). Les trouvailles de monnaies d’Ostrogoths et quelques objets supposés de même origine permettent [ 52 ]d’envisager que, dans les premières dizaines d’années de son existence, cette construction fut occupée par une petite garnison d’Ostrogoths chargée de contrôler la population indigène, ainsi que d’aider celle-ci à surveiller le transit vers l’Italie alors occupée par les Goths. Plus tard, elle fut remplacée par une famille lombarde chargée de la même tâche. Des vestiges de parures et de vaisselle de provenance romaine laissent à penser que l’habitation fut surtout occupée par des gens de souche.

Deux autres constructions, de la même grandeur à peu près, sont situées à l’est de la maison décrite: la construction de la pièce centrale de l’une d’entre elles semble avoir été plus solide, ou tout au moins plus haute, dans la mesure où ses vestiges ressortent plus nettement du relief du sol. Du côté est de la place, il y avait une autre unité formée de trois locaux, favorablement située sur une petite terrasse; sa structure était adaptée à la configuration du terrain, ses pièces n’étant plus tout à fait alignées. Il est intéressant de signaler que cette division intérieure en trois pièces prévalait dans les maisons dé¬ couvertes à Monte Barro, près de Lecco, en Italie du Nord, où un chantier de fouilles est en train de mettre à jour un habitat imposant de la fin du Ve et du début du Vie siècle, et où certaines trouvailles témoignent de la présence d’Ostrogoths. Ces maisons furent - détail intéressant - entourées de portiques. Il faut préciser que le site de Gradée près de Prapretno, doté par ailleurs d’un éventail varié de types de constructions et rappelant par son emplacement celui de Tonovcov grad, ne comporte pas de maisons de ce type de division intérieure. Les fouilles récentes ont révélé qu’une structure assez analogue du site de Rifnik n’avait en effet que deux pièces, avec une petite construction adjacente. Il n’y a que deux exemples de cette disposition à trois pièces, le bâtiment dit «épiscopat» du site Ajdovski gradée pri Sevnici et le bâtiment de l’ensemble du Kucar près de Podzemlje daté du début de l’ère chrétienne. Nous trouvons particulièrement intéressants les vestiges d’une construction dont la surface permet d’identifier une division intérieure en cinq pièces. Bien qu’elle présente une certaine ressemblence avec une construction du site de Senturska gora, nous ne lui connaissons pas de parallèle en Slovénie.

Dans l’angle nord-ouest de l’habitat, on devrait trouver un édifice d’importance majeure, cette partie constituant l’un des points-clefs du système défensif. Or, s’il est encore possible d’identifier l’angle de l’enceinte, il est impossible d’entrevoir les contours et les dimensions d’une éventuelle construction ou d’une tour.

Sur un plateau rocheux de quelques mètres de hauteur, rejoignant du côté [ 53 ]sud la paroi rocheuse d’un précipice, il a été possible d’identifier, dès le début des fouilles, le plus grand champ de ruines du site. Ce sont les vestiges d’églises du début de la christianisation; la nature de ces édifices ressortait du reste déjà d’après leur situation dans la répartition intérieure de la place, la dimension des constructions et l’orientation vers l’est du complexe. Ces hypothèses ont été entièrement confirmées par les résultats des fouilles de 1996, qui ont mis à jour aussi quelques détails passés inaperçus auparavant. Le développement progressif du centre sacral y est déjà indiqué. Dans une première phase, à la fin du Ve siècle, deux églises parallèles avaient été érigées, contemporaines à la construction de l’habitat. Ce sont deux structures rectangulaires aux dimensions intérieures de 12,4 x 6 m et 11,6 x 3,7 m. Les différences de longueur sont explicables par la nécessité d’adaptation au terrain accidenté et rocheux. À l’intérieur des églises, deux presbytères surplombaient les nefs dont ils étaient séparés par un mur; une disposition que l’on peut attribuer surtout à la configuration du terrain rocheux, montant vers l’est. Les traces de la première phase de l’aménagement intérieur des presbytères ne sont pas évidentes. À l’exception du sol rocheux du presbytère de l’église la plus grande, la majeure partie du sol des deux églises est recouverte de hourdis de bonne qualité. Dans une phase ultérieure, un petit édifice quadrangulaire fut ajouté aux églises. Sans identifier sa vraie fonction, nous y avons découvert cependant, creusée dans un rocher, une sépulture vide, permettant de conclure qu’il s’agit d’un cénotaphe. Sa position privilé¬ giée, à proximité du presbytère, permet d’attribuer cette tombe à un fondateur des églises, à un dignitaire ecclésiastique ou à un bienfaiteur. Le caractère exceptionnel de cet édifice quadrangulaire est indiqué aussi par la découverte d’un linteau profilé à proximité de l’entrée. Postérieurement encore, cet édifice fut prolongé au sud, à l’extrémité de la bordure rocheuse, par une troisième église aux dimensions intérieures de 12,2 x 5,2 m. Ici encore, le presbytère est séparé de la nef par une paroi légèrement surélevée. L’intérieur de la nef est cependant beaucoup plus accidenté que celui des deux autres églises. Dans la phase finale, on a ajouté à ces églises des narthex, vestibules destinés à l’instruction des catéchumènes. Les presbytères des trois églises étaient dotés de bancs réservés aux prêtres, avec un siège (cathedra) au milieu. Quant aux autels, ils furent rénovés voire reconstruits. Une monnaie de Justinien, trouvée dans une amphore près de l’autel de l’église centrale, situe cet événement à l’époque de la victoire des Byzantins sur les Ostrogoths et de la reconquête de l’actuel territoire Slovène et d’une [ 54 ]grande partie de l’Italie par l’Empire byzantin. Ces événements remontent au milieu du Vie siècle. À cette époque, cet ensemble d’églises eut son aspect définitif. Les églises, y compris les narthex, occupaient donc une surface de 17,4 m à 18 m de longueur et de 21,8 m de largeur, soit la totalité de l’aire découverte du plateau rocheux. L’église septentrionale contenait une petite chaire (ambon), un podium de pierre de 70 x 60 cm adossé à la paroi séparant la nef du presbytère. À l’intérieur de l’église centrale, on a découvert par contre, en une position semblable, une cavité artificielle forée dans un rocher, de 2,6 m de long et de 1 m de large. Sa position et sa forme évoquent un bassin baptismal rudimentaire obtenu par l’agrandissement d’une fissure préexistante dans le rocher. Les fouilles effectuées à proximité de l’autel de l’église du côté nord ont mis à jour une urne romaine ayant servi probablement de reliquaire.

Il est difficile d’envisager la fonction de ces trois églises. Dans celle du milieu, vu ses dimensions, on célébra sans doute régulièrement la messe; de temps en temps, on y donna le baptême. L’église du nord, plus petite, avec son banc destiné aux prêtres et son siège (cathedra) bien conservés, eut certainement une fonction particulière. Douze sépultures, d’enfants pour la plupart, ont été trouvées à l’interieur des églises ainsi que le long de leurs murs latéraux, et il semble que sous les autels étaient conservées les reliques de grands martyrs et que c’était un privilège d’être enterré à leur proximité. Un seul mobilier de sépulture caractérisant un peu mieux le défunt a été trouvé dans une sépulture près du mur extérieur du narthex de l’église située au sud. La défunte était parée d’une paire de boucles d’oreilles simples en bronze, d’un collier de grains de verre et d’une bague d’argent massif incrusté de verre coloré.

Un autre édifice encore, dont on a repéré les contours à la surface du terrain, à proximité des églises déjà fouillées, mérite une attention particulière. Sa position, son orientation et ses dimensions suggèrent l’existence d’une autre église. Comment peut-on expliquer cette construction? Les traces de la pré¬ sence des Ostrogoths et des Lombards font penser à une église qui aurait été érigée par des Germains partisans de l’arianisme, les adeptes d’une secte fondée au IVe siècle dont l’apogée se situa précisément à l’époque de la migration des populations. Une réponse définitive relative à sa nature et sa fonction ne sera possible qu’au terme de nouvelles recherches systématiques.

La variété des vestiges fournis par les fouilles effectuées jusqu’ici nous permet d’établir un schéma chronologique de cette place forte, d’obtenir quelques informations sur l’appartenance ethnique de ses habitants et de [ 55 ]reconstituer, à partir de quelques détails et de comparaisons avec d’autres stations analogues, la vie de la hauteur fortifiée et de ses habitants.

Parmi les trouvailles, il y a plusieurs exemplaires de fibules, entières ou cassées, identifiables grâce à leur arc bien profilé. Elles furent utilisées aux 1er et Ile siècles et leur mauvais état nous fait penser à une longue utilisation, éventuellement ultérieure à la période considérée. Une fibule géniculée à tête semi-circulaire est mieux conservée que les autres. Des comparaisons permettent de situer son utilisation à la fin du Ile et surtout à une grande partie du Ille siècle. Vu son état de conservation, on a tout lieu de supposer qu’au début de son utilisation elle fut perdue par son propriétaire. Un autre type de fibule est représenté par plusieurs exemplaires. Récemment, ce type de fibule a été dénommé d’après l’important site Slovène éponyme, Hrusica. Son utilisation, dont le début remonte tout au plus au troisième tiers du Ille siècle, s’est prolongée jusqu’au Ve siècle. Ce type de fibules fut répandu surtout dans les Alpes orientales.

Deux fibules de bronze appartiennent à des variantes stylistiques tardives, contemporaines des constructions de la place forte, et de ce fait d’autant plus intéressantes. Il s’agit de fibules du type dit «Gurina». Répandues sur le territoire des Alpes orientales, elles étaient utilisées surtout pour fixer le vêtement masculin. Divers exemplaires datent de la seconde moitié du Ve, mais on relève leur présence jusqu’au Vie siècle.

La facture des éléments d’une ceinture suivant, elle aussi, les changements de la mode, elle est pour l’archéologue un outil de datation très précieux. Deux éléments de garniture, chronologiquement les plus anciens, comptent parmi les trouvailles les plus remarquables mises à jour jusqu’ici. Le premier est caractérisé par les extrémités élargies en triangle et par une décoration compliquée à entrelacs végétaux gravés au burin. Ce style décoratif renvoie à la fin du IVe et au début du Ve siècle, mais il n’a point d’égal parmi les exemplaires connus jusqu’ici. Ce type de garniture de ceinture faisait sans doute partie de l’équipement des officiers, car il a été trouvé souvent dans les forteresses militaires de l’Antiquité romaine tardive. Dans le même groupe d’objets s’inscrit le deuxième élément, la partie terminale d’une ceinture. Il s’agit de l’un des exemples, plutôt rares, de parures romaines tardives, vraisemblablement encore utilisées au cours des siècles suivants. Autre élément remarquable: le fermoir de ceinture historié d’une scène de chasse au cerf bilatérale, procédé de figuration assez rare soulignant l’importance des personnages qui résidaient alors sur cette hauteur.

[ 56 ]Une datation plus précise a été possible pour un type de boucle de ceinture, mieux connu de notre espace, dont l’ardillon caractéristique fut mis à jour dans le site de Tonovcov grad. Sa forme en écusson et son décor le situent dans la deuxième moitié du Vie siècle. Plusieurs exemplaires analogues ont été fournis par la grande nécropole du site Lajh de Kranj datée de la période des migrations de populations. Une boucle de type dit «méditerranéen», très répandu à la fin du Vie et en partie au Vile siècle, est tout à fait caractéristique aussi. À cause de ses petites dimensions, on peut penser qu’il s’agit d’une boucle de chaussure.

Une boucle d’oreille en forme de lunule, dont la décoration peu commune est difficile à détailler, mérite une attention particulière. La bande supérieure présente un décor géométrique, travaillé au repoussé, ressemblant aux dé¬ cors que nous connaissons des vases sigillés lombards. S’agit-il en l’occurence d’une particularité stylistique des Lombards, auxquels nous ne connaissons point de boucles d’oreille de forme spécifique? Les mobiliers de leurs sé¬ pultures ont fourni souvent des boucles d’oreille à pendant en forme de cube tronqué, la même que présente une autre boucle d’oreille de forme typique, propre cependant à différents groupes ethniques et en particulier à la population indigène.

Parmi les objets les plus précieux trouvés sur le site, il faut mentionner une boucle de lanière en bronze plaqué or que son décor zoomorphe, présentant quelques éléments caractéristiques de l’art carolingien, permet de situer avec une certaine précision aux environs de l’an 800.

La découverte de deux clés de bronze et d’un fragment de verrou prouvent que les portes des constructions fortifiées situées du sommet de la hauteur étaient munies de serrures. La décoration de l’une des clés, découverte à proximité de l’édifice à cinq locaux, présente toutes les caractéristiques traditionnelles des clés décorées romaines plus anciennes, fournies en grand nombre par les fouilles de sites de la période romaine.

Les fouilles d’habitats fortifiés de ce type fournissent rarement des trouvailles d’armes, celles-ci représentaient en effet à l’époque un bien trop précieux pour qu’on les laissât tramer. Les plus fréquentes, découvertes pour la plupart à proximité des remparts ou des constructions, sont des pointes de flèches qui témoignent d’un combat ou d’un siège. Le nombre des flèches trouvées à Tonovcov grad est très élévé. Une autre découverte particulièrement remarquable est une longue épée de fer - spatha -, qui constitue une trouvaille exceptionnelle dans un habitat fortifié de l’Antiquité tardive. [ 57 ]Datée du haut Moyen Âge, elle trouve d’excellents analogues à Čedad (Cividale), un très important centre lombard voisin.

La découverte de différents outils en fer permet de parfaire nos connaissances sur la vie quotidienne dans la place forte. Difficiles à dater, ces objets témoignent cependant des activités et des outillages utilisés pour rendre plus supportable la vie en ce lieu. Les fouilles ont mis à jour de nombreux éclats de céramiques, pour la plupart de fabrication locale, ainsi que quelques exemplaires d’objets importés, de type «terra sigilata chiara», et d’amphores provenant de la Méditerrannée orientale et du nord de l’Afrique. Les diffé¬ rentes monnaies contribuent à compléter la chronologie. Certaines sont datées des premiers trois siècles de notre ère, mais la plupart proviennent de la deuxième moitié du IVe siècle. L’état de conservation de certaines pièces nous amène à supposer, là aussi, une utilisation postérieure. Quatre pièces de «demi-siliqua» des empereurs ostrogoths Théodoric et Altharic.de même qu’une «tremis» de l’empereur byzantin Zenon offrent d’utiles repères chronologiques et typologiques.

Les trouvailles de monnaies de la seconde moitié du Ille siècle, ainsi que de quelques objets en bon état de conservation (en particulier la fibule géniculée) permettent de situer l’époque des premières occupations de courte durée de la place. Sans de nouvelles recherches étendues à l’ensemble des formes architecturales, il est impossible de se prononcer sur la nature des habitations occupées par la population: habitait-elle des cabanes, comme ce fut le cas du Veliki vrh au-dessus d’Osredek, près de Podsreda, ou déjà de véritables constructions bâties? La première hypothèse paraît la plus vraisemblable.

Les traces de peuplement de la fin du IVe et du premier quart du Ve siècle apr. J.-C. sont révélatrices et significatives. En ce temps-là, la place reçut vraisemblablement une garnison chargée du contrôle de la route du col de Predel, reliant la ville de Forum Iulii (Čedad/Cividale), dans le Frioul, avec les cités de la Carinthie. Cette présence ressort moins à travers les vestiges architecturaux, détruits pour la plupart au moment des reconstructions intensives de la fin du Ve siècle, que par de nombreux petits objets variés, vestiges du costume militaire de l’Antiquité romaine tardive, et par des monnaies. En ce qui concerne la chronologie, il faut souligner en premier lieu l’importance des fibules de type Hrusica et de quelques boucles et éléments de ceintures, caractéristiques du costume militaire des garnisons des castdli d’environ 400 ap. J.-C., dispersés sur tout le territoire de l’Empire. D’après [ 58 ]les monnaies, dont la frappe date des premières décennies du Ve siècle, on peut conclure que le garnison est restée établie sur cette hauteur au moins jusqu’à environ 400 ap. J.-C. On peut se demander si son séjour fut lié à l’établissement du système de barrières et de forteresses dit «Claustra Alpium Iuliarium», dont la fonction fut, durant l’Antiquité tardive, de contrôler les accès à l’Italie. Dans ce contexte, l’emplacement de cette forteresse, fermant l’accès facile de Čedad (Cividale), en Italie, par le passage de Robic, aurait été parfaitement sensé.

La prise du pouvoir en Italie et sur l’actuel territoire Slovène, par Théodoric le Grand, le roi légendaire des Ostrogoths, dans la dernière décennie du Ve siècle, peut être considérée comme la période la plus importante de l’histoire du peuplement de Tonovcov grad. De cette période datent les importants vestiges du sommet de la hauteur: traces d’habitations, d’églises et d’un système défensif. Les constructions de la place ressemblent à celles d’autres forteresses, déjà fouillées en partie, tant en Slovénie que dans les pays voisins. Le site de Tonovcov grad ressemble le plus à celui de Gradée près de Prapretno - de l’Antiquité tardive lui aussi -, dont il se rapproche par un même nombre et par une même disposition de constructions, ainsi que par son architecture bien conservée également. Le site carinthien de Dole (Duel) lui ressemble par la concentration des constructions à proximité de l’enceinte ainsi que par une assez grande église, située à l’intérieur d’une aire bien protégée. De leurs côtés, les sites de Kučar et Vranje présentent eux-aussi des grands ensembles d’églises, analogues à celui de Tonovcov grad. Leur contemporanéité est soulignée par la même conception d’architecture et d’aménagement.

Les données réunies jusqu’ici ne permettent pas d’identifier le fondateur de la place forte. Ici, comme ailleurs, la plupart des trouvailles indiquent une population indigène romanisée; cependant, il n’est pas possible d’exclure les Ostrogoths, vraisemblablement fort intéressés à cette forteresse située en un point stratégique. À ce propos, il faut mentionner la lettre citée par Cassiodore et envoyée entre 507 et 511 ap. J.-C. par le roi des Ostrogoths Théodoric aux Lucristani de la vallée du Soca. Dans sa missive, il évoque l’intérêt que représentent les voies publiques qui facilitent l’exécution des décrets royaux. Il souligne la nécessité de veiller à ce que les chevaux utilisés pour ces transports gardent leurs forces. Aux Lucristani il donne l’ordre de rendre la terre, réservée jadis à l’élevage de chevaux, et saisie plus tard par les propriétaires de postes. [ 59 ]Il est difficile de préciser la durée du maintien de cet habitat après la fin du Vie siècle, où la majorité des habitats fortifiés de la Slovénie intérieure connurent le déclin. Situé à proximité de l’Italie des Lombards, ce poste - à l’instar du castel de Carnium (Kranj) - eut une fonction d’avant-garde, en un point d’importance stratégique; il y aurait donc lieu de s’attendre à des trouvailles pouvant aller jusqu’au Vile siècle. Or, la découverte remarquable d’une boucle de lanière témoigne du maintien de l’habitat sur cette hauteur jusqu’à l’époque carolingienne. Avec quelques autres trouvailles - de la céramique surtout -, elle atteste une occupation de courte durée de la hauteur de la fin du Ville jusqu’au début du IXe siècle, à l’époque où ce territoire faisait partie du royaume des Francs, sous Charlemagne.

Voici donc dessinés les premiers traits un peu plus précis d’une place fortifiée de l’Antiquité tardive, qui s’inscrit par ses dimensions, son état de conservation et les résultats des fouilles effectuées jusqu’à aujourd’hui, parmi les sites les plus importants des Alpes orientales. L’importance de ce poste réside surtout dans le fait qu’il s’agit d’un habitat vaste et riche de la période des migrations de populations, doté d’habitations et d’églises de construction très solide pour l’époque, qu’il fut habité par une population de souche romanisée et, en partie, par des occupants germaniques excerçant le contrôle sur une voie de passage en un point stratégique sensible situé à la porte de l’Italie. Les églises de Tonovcov grad sont de différentes conceptions architecturales, comparables avec quelques centres majeurs découverts jusqu’à aujourd’hui sur le territoire de l’ancien empire romain; en Slovénie, elles n’ont d’égales, que celles des sites de Ajdovski gradée près de Vranje et de Kucar près de Podzemlje. Elles révèlent l’existence d’un centre religieux assez important qui a pu accueillir parfois - éventuellement pour des séjours prolongés - l’évêque lui-même; par ailleurs, on ne peut pas exclure que l’ensemble des églises ait également été un lieu de pèlerinage.

La diversité de son histoire et surtout les vestiges de constructions de l’Antiquité tardive, en excellent état de conservation, font de Toncov grad le poste-témoin d’une époque tourmentée qui obligeait la population à chercher un abri dans des «nids d’aigle» de ce type. Les magnifiques églises témoignent d’une forte présence du christianisme qui marquait de son empreinte la vie de l’époque et offrait un refuge spirituel dans le contexte d’un malaise existentiel grandissant. [ 60 ]BIBLIOGRAPHIE

S. Ciglenečki, «Poznoantična naselbina Tonovcov grad pri Kobaridu», in: Kronika, Casopis za krajevno zgodovino 42,1994,1-14.

S. Ciglenečki, «Scavi nell’abitato tardo-antico di Tonovcov Grad presso Caporetto (Kobarid) Slovenia», in: Rapporto preliminare, Aquileia nostra 65,1994,186-207.

S. Ciglenečki, Höhenbefestigungen aus der Zeit vom 3. bis 6. Jh. im Ostalpenraum, Dela SAZU 31, Ljubljana 1987.

P. Petru, «Arheološki oris poznoantične poselitve Slovenije», in: Zgodovinski časopis 36,1982,295-310.

J. Sasel, «Der Ostalpenbereich zwischen 550 und 650 n. Chr.», in: RheinischWestfälische Akademie der Wissenschaften, Studien zur Ethnogenese, Band 2, Abhandlung 78,1988,97 ff. [ 61 ]

L’ensemble des églises; vue de l'est.



Le banc des prêtres très bien consente et le siège de l'église du sud.



[ 62 ]

Sépulture d'un dignitaire de l’Église ou d'un bienfaiteur à l'intérieur du narthex de l'église du nord.



Une grande résidence de la partie basse de l'habitat dotée d'une annexe.